AURÉLIE BARBAUX
PUBLIÉ LE 26/06/2018 À 07H00, MIS À JOUR LE 03/07/2018 À 08H30
Le printemps nucléaire, qui devait succéder à l’hiver post-Fukushima, n’arrive toujours pas. Et pourrait bien ne jamais avoir lieu. Seuls quatre nouveaux réacteurs – c’est-à-dire raccordés au réseau électrique – ont été mis en service en 2017. Les trois premiers se trouvent en Chine, le quatrième – de construction chinoise – au Pakistan. En 2018, ils ne seront que trois. Un en Chine et deux en Russie, dont Rostov 4 en construction depuis les années 1980. Des statistiques issues du décompte au 31 mai de Julie Hazemann, data manager, et Mycle Schneider, auteur principal du World nuclear industry status report 2018 (WNISR 2018) dévoilé en avant-première par « L’Usine Nouvelle ». Pas étonnant que la filière nucléaire mondiale, qui tient son salon pour trois jours à Paris du 26 au 28 juin, lors du World nuclear exhibition, mette désormais l’accent sur l’aval du cycle de vie des centrales. Les deux parcours « découvertes » du salon privilégient d’une part le numérique, qui permet d’optimiser la maintenance, et d’autre part les déchets et le démantèlement.
La Russie tire le marché
« Si le nucléaire était un organisme vivant, il serait classé ’en voie de disparition’, car le taux de renouvellement est insuffisant pour sa survie », observe Mycle Schneider. Alors que huit chantiers avaient démarré en 2015, seuls trois réacteurs ont été mis en construction en 2016 – dont deux en Chine et un au Pakistan, toujours de construction chinoise -, et cinq en 2017, dont deux en Inde, un au Bangladesh (toutes les trois de construction russe), un en Corée et un surgénérateur de démonstration en Chine – aucun réacteur commercial n’a été mis en chantier depuis plus d’un an et demi. Du 1er janvier au 31 mai 2018, le WNISR ne dénombre que deux nouveaux réacteurs en construction, l’un en Russie et l’autre en Turquie (également de construction russe). Dans le même temps, trois réacteurs ont été déconnectés du réseau en 2017 – en Allemagne, en Suède et en Corée –, et d’autres le seront au Japon cette année. Au total, à la mi-2018, 52 réacteurs nucléaires sont en construction dans quinze pays et 410 réacteurs sont en exploitation à travers le monde d’une ancienneté moyenne de 30 ans.
La Chine marque le pas
Mais, étonnamment, ce ne serait plus la Chine qui tire le peu qu’il reste du marché, mais la Russie. Sur les sept dernières mises en construction dans le monde depuis un an et demi, six ont au moins une composante russe : deux se trouvent en Russie, les cinq réacteurs en construction en Inde, au Bangladesh, en Turquie et en Chine sont de production russe, et bien que le surgénérateur en Chine soit officiellement de conception chinoise, le design est basé sur le China Experimental Fast Reactor (CEFR) qui a été conçu… avec la Russie. « Ce qui reste le plus frappant, c’est l’évolution en Chine que l’on ne comprend pas bien, confesse Mycle Schneider. Sur la scène internationale, elle n’affiche aucun engagement pour de nouvelles constructions, mais n’a fait aucune communication qui permet de comprendre pourquoi. » La Russie, la plus agressive sur le marché international, peut-elle prendre le relais ? Pas si sûr, car elle doit de plus en plus, comme EDF à Hinkley Point, porter seule les investissements. En Turquie, l’investisseur local – qui devait apporter 49 % du capital – s’est retiré juste avant le début officiel de la construction début avril 2018, mettant le projet en péril. Ce ne serait pas une première. Un projet de 10 milliards de dollars vient d’être abandonné en Jordanie.
La menace des énergies renouvelables
En Inde, présenté comme le nouvel eldorado nucléaire, « l’écart entre les prévisions et la réalisation est le plus dramatique au monde, rappelle l’expert du WNISR. On y parle des EPR depuis très longtemps, mais il y a des problèmes sur le plan légal, sur les garanties, la responsabilité en cas d’accident, sans oublier une opposition farouche des populations ». Et en Inde comme en Chine, « l’espèce nucléaire est gravement menacée par des espèces invasives : les énergies renouvelables », constate encore Mycle Schneider, qui s’étonne que la logique du taux de renouvellement ne provoque pas plus de débat.
C’est oublier EDF. Si l’électricien français milite autant pour la construction d’autres EPR en France – mais commence aussi à parler de mini-réacteurs –,c’est moins pour assurer la production hexagonale que maintenir en vie une filière nucléaire française désarmée face à des renouvelables toujours plus compétitifs. Sur le plan mondial, le solaire dépasse désormais largement le nucléaire opérationnel en capacité installée, avec environ 400 GW pour le solaire contre 350 GW nucléaires. Certes, la production du nucléaire, en croissance de 1 % en 2017 grâce à la Chine, reste encore nettement supérieure à celle du solaire. Mais sa part dans le mix électrique mondial a encore reculé de 0,2 % en 2017, à 10,3 % contre 17,5 % en 1996.