Jean-François Julliard • 4 février 2025
Où trouver les dizaines de milliards nécessaires à la construction des six centrales nucléaires EPR annoncée en février 2022 par Macron, et de huit autres modèles dans les années à venir ? Question d’autant plus brûlante que, à peine esquissé, le coût du projet des six EPR 2 a flambé. Si le montant de la facture était fixé, au départ, à 51,7 milliards d’euros, la Cour des comptes vient déjà de l’augmenter de plus de 15 milliards. D’ici à la livraison, censée intervenir entre 2035 et 2040, le prix a encore le temps de grimper dangereusement.
Surtout, cette priorité industrielle affichée par le Président en restera-t-elle une au vu de l’essor phénoménal des renouvelables ? Face à l’énergie à base d’uranium, décarbonée mais à hauts risques, l’éolien, le solaire et l’hydraulique s’affichent écolos et presque inépuisables… bien qu’intermittents. Paru à la fin de 2024, un rapport qui s’appuie sur les chiffres de l’Agence internationale de l’énergie atomique relance le débat. Partout dans le monde, indique le « World Nuclear Industry Status Report », les renouvelables raflent l’essentiel des investissements mobilisés par les Etats. En 2023, ils ont attiré 623 milliards d’euros, contre 23 milliards pour le nucléaire. Vingt-sept fois plus !
Résultat : l’énergie nucléaire poursuit son lent déclin. En 1996, l’électricité d’origine atomique se taillait une part de marché de 17,5 %. En 2023, celle-ci est descendue à 9,15 %. Qui plus est, son coût de revient stagne, alors que, selon l’étude – actualisée chaque année – de la banque US Lazard, le coût du kilowattheure éolien a baissé, lui, de 72 % en douze ans, et celui du solaire de 90 % ! Aujourd’hui, ces énergies représentent souvent la moitié du prix de leur concurrent ionisant.
En Chine – l’Etat qui mise pourtant le plus sur l’atome –, le photovoltaïque a dépassé, en 2024, l’électricité radioactive. L’éolien en avait fait autant il y a plusieurs années. Ces énergies provoquent le même engouement aux Etats-Unis et en Europe, d’autant que les systèmes hybrides – compensant l’intermittence du renouvelable par du stockage via des batteries ou des transferts hydrauliques – sont en plein essor. Un récent rapport de l’OCDE prévoit que la combinaison solaire-stockage pourrait rapidement devenir la plus compétitive. Las ! EDF, qui l’utilise aux Antilles, indique qu’il n’a pas de projet de développement de cette énergie dans l’Hexagone.
De multiples accrocs viennent, en revanche, contrarier la « renaissance », annoncée un peu partout, des usines à neutrons. En tête de gondole, l’EPR français de Flamanville, lancé en décembre dernier avec douze ans de retard et une facture passée de 3,3 à 23,7 milliards… Vient ensuite la découverte, au sein de moult centrales tricolores (et pas que), de malfaçons dans les tuyauteries : corrosion et défauts de soudure. Des vices d’autant plus répandus que le parc vieillit. La moyenne d’âge des réacteurs est de 39 ans en France et de 43 ans aux Etats-Unis.
Conséquence : les visites décennales (VD) des centrales, destinées à inspecter chaque boulon, s’allongent. Prévue pour durer 181 jours, la quatrième VD a immobilisé Bugey 2 pendant treize mois. A Chinon B1, on est passé de 265 journées à 467. Ces retards et ces surcoûts – auxquels s’ajoutent ceux liés au traitement des déchets radioactifs – affectent les résultats d’EDF, qui traîne une dette (pourtant réduite de 10 milliards en 2023) de 54 milliards d’euros. Par souci d’économie, l’électricien a décidé, le 19 décembre, de réduire d’un tiers les 2 milliards prévus pour les travaux préparatoires des six futurs EPR 2.
Mais il y a pire : en Corée du Sud, concurrent de la France pour la construction de réacteurs, la société nationale Kepco cumule une dette abyssale de plus de 130 milliards d’euros. Aux USA, les AP1000 (sorte d’EPR) de Vogtle (Géorgie) ont démarré l’an dernier avec plus de huit années de retard et une facture multipliée par deux, ce qui a beaucoup contribué à la faillite, en 2017, du géant Westinghouse. En Grande-Bretagne, cela fait déjà neuf ans que l’on donne sa chance à l’EPR français de Hinkley Point. Son devis initial a plus que doublé, et le réacteur ne fonctionnera pas avant 2029 ou 2031…
Pour tout arranger, la guerre en Ukraine a rendu la Russie peu fréquentable. Embêtant, même si les sanctions décidées par l’Europe ne s’appliquent pas au nucléaire (contrairement à celles des USA). Car la France est dépendante de l’uranium enrichi, dont le royaume de Poutine est le premier fournisseur (40 % du marché mondial). Son champion Rosatom réussit la prouesse d’être à la fois partenaire, client et concurrent d’EDF ! Encore une surchauffe des coûts à prévoir pour des lendemains qui rayonnent de moins en moins…
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