par Nicolas Stiel • publié le 15 Mars 2023
La dernière fois qu’ils s’étaient croisés à l’Assemblée nationale c’était en 2007. Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur, n’était pas encore président. François Hollande, premier secrétaire du PS, officiait comme député de la Corrèze. Demain, jeudi 16 février, les deux anciens chefs de l’Etat reviennent au palais Bourbon pour être auditionnés dans le cadre de la Commission d’enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France. Mais cette fois, les deux candidats à l’élection de 2012 ne se croiseront pas. Nicolas Sarkozy sera entendu à 9h30, François Hollande à 14h. « Deux anciens présidents au Parlement, c’est sans précédent, note l’historien Michel Winock. Cette audition témoigne du renouveau de la vie parlementaire dû à l’absence de majorité absolue à l’Assemblée. Quant à Sarkozy et Hollande, c’est l’occasion de montrer qu’ils existent et qu’ils ont encore un rôle moral à jouer. »
Pour cette audition hors normes, rien n’a été laissé au hasard. « Nicolas Sarkozy et François Hollande ne sont pas convoqués, on leur a proposé de venir, précise Raphaël Schellenberger, député LR du Haut-Rhin et président de la Commission d’enquête. Contrairement aux autres responsables auditionnés, ils ne prêteront pas serment car on veut les entendre en tant qu’anciens présidents de la République. A ce titre, ils sont irresponsables devant le Parlement. » Leur audition marquera le terme de cette commission d’enquête qui avait débuté en octobre. In fine, elle aura auditionné quatre-vingt-huit responsables : des leaders politiques comme l’ancien premier ministre Lionel Jospin, l’ancien ministre de l’Economie Arnaud Montebourg des grands patrons comme le PDG d’EDF Luc Rémont ainsi que trois de ses prédécesseurs et des experts comme le président du Shift Project Jean-Marc Jancovici.
Les débats de la Commission d’enquête ont été essentiellement centrés sur le nucléaire. Une filière qui faisait l’admiration du monde entier. Dans les années 1980 et 1990, EDF était parvenu à standardiser ses centrales en capitalisant sur le retour d’expérience de chaque réacteur, une performance que les autres pays n’arriveront jamais à reproduire. Mais aujourd’hui le nucléaire français est à la peine. L’EPR de Flamanville n’est toujours pas terminé. Quant aux 56 réacteurs du parc existant, ils souffrent d’un phénomène inédit, la corrosion sous contrainte. L’an dernier, le rendement des centrales a chuté à 54% selon le « World Nuclear Industry Status Report. » Soit trente points de moins qu’au milieu des années 2000.
L’audition de Nicolas Sarkozy permettra de mieux comprendre l’état d’esprit qui prévalait à la fin des années 2000. Arrivé à l’Elysée en 2007, le nouveau président décide de lancer un second EPR à Penly (Seine Maritime), mais le projet restera dans les limbes. Fin 2009, la France perd le contrat nucléaire du siècle aux Emirats. Une des raisons de l’échec est la guerre picrocholine que se livrent les dirigeants d’EDF et d’Areva, Henri Proglio et Anne Lauvergeon. Suite à cette humiliation, Sarkozy demande à l’ancien PDG d’EDF François Roussely un rapport sur l’Avenir de la filière française du nucléaire civil. Le document est sans appel : le nucléaire ne doit être dirigé que par un seul chef de file. Et c’est EDF. Pour autant rien ne change car en mars 2011, survient Fukushima. Cette catastrophe dans un pays, le Japon, dont la technologie est éprouvée, porte un coup très dur à la filière nucléaire. Preuve du désamour de l’atome, cette déclaration du ministre de l’Ecologie Jean-Louis Borloo au sujet de Flamanville : « Je suis convaincu que la France n’a pas besoin de cet EPR si elle parvient à réduire massivement sa consommation énergétique tout en augmentant sa production d’énergies renouvelables. La réduction du nucléaire doit se faire de manière progressive. Une sortie totale ne peut s’envisager avant 2040. »
Cette fronde anti-nucléaire imprègne aussi le PS. Au Parlement, l’audition de François Hollande sera très attendue. Au départ, le président socialiste n’avait pas vraiment de religion sur la question. Mais avant d’accéder à l’Elysée, il a dû composer avec l’air du temps : « Je ferai en sorte que la France sorte du nucléaire de façon progressive et sérieuse », déclare la cheffe du PS Martine Aubry, pendant la campagne présidentielle de 2012. La maire de Lille s’accorde avec Cécile Duflot, patronne des Verts, pour fermer 24 réacteurs sur 58. Moins jusqu’au-boutiste, François Hollande s’engagera à baisser la part du nucléaire dans le mix électrique de 70 % à 50 % à l’horizon 2025, et annonce la fermeture des deux réacteurs de Fessenheim (Haut-Rhin). Finalement, il n’en fera rien.
C’est son successeur qui signera l’arrêt de mort de la centrale alsacienne. Emmanuel Macron sera le grand absent de cette commission d’enquête. Mais constitutionnellement un président en exercice ne peut-être auditionné. Au grand regret de Yannick Jadot. « C’est dommage qu’Emmanuel Macron ne le soit pas en tant que ministre de l’Economie, confiait la semaine dernière le député européen vert. Car c’est Macron qui a poussé à la signature de l’EPR d’Hinkley Point (en Grande-Bretagne), alors que le directeur financier d’EDF avait démissionné et que les syndicats militaient contre ce projet qui met en danger financièrement EDF. » Aujourd’hui, le président relance la filière avec la construction d’au moins six EPR. « Sur le nucléaire, Emmanuel Macron a eu des croyances successives », résume Raphaël Schellenberger.
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