Par Nicolas Stiel Publié le 16 Décembre 2021
EDF a connu son jeudi noir. A la mi-journée du 16 décembre, l’action de l’énergéticien plongeait de plus de 13%. Une Bérézina boursière qui témoigne de la fébrilité du marché de l’énergie. Un marché devenu irrationnel où depuis plusieurs mois les prix du gaz et de l’électricité s’envolent de manière erratique. La chute d’EDF a cependant une explication. Elle tient à des défauts à proximité de circuits de refroidissement de la centrale de Civaux (Vienne). Après avoir détecté cette anomalie EDF décidait de prolonger l’arrêt de cette unité. Dans le même temps, l’ex monopole interrompait la production de la centrale de Chooz (Ardennes) qui est équipée du même type de réacteurs. Ces deux événements qui surviennent au sein des centrales les plus puissantes du parc nucléaire français constituent un coup très dur pour EDF. Outre la perte de production estimée à environ 1 térawattheure (TWh) sur la fin de 2021, la prolongation de l’arrêt de Civaux et l’interruption des deux tranches de Chooz conduisent l’électricien à revoir son estimation d’Ebitda, aux prix de marché actuels, dans une fourchette comprise entre 17,5 et 18 milliards d’euros, alors qu’il tablait précédemment sur un chiffre supérieur à 17,7 milliards.
Autre problème, ces indisponibilités de réacteurs de 1.450 mégawatts (MW) risquent de fragiliser la sécurité d’approvisionnement en électricité du pays. Le mois dernier, RTE, le gestionnaire du réseau de lignes à haute tension, avait prévenu qu’une “vigilance particulière” s’imposerait cet hiver, notamment en janvier et février, en cas de vague de froid et “de conditions défavorables sur le parc de production”. Pour l’expert Mycle Schneider, coordinateur et éditeur du World Nuclear Industry Status Report, la situation est déjà critique. “EDF a été importateur d’électricité en novembre, dit-il. Et il en sera sans doute de même en décembre.”
Il y a cinq semaines, c’était pourtant l’euphorie. “Nous allons pour la première fois depuis des décennies relancer la construction de réacteurs nucléaires dans notre pays”, déclarait Emmanuel Macron le 9 novembre. C’est la lutte contre le réchauffement climatique et la nécessité d’électrifier les usages au moyen d’énergies décarbonées qui ont poussé le président à miser à nouveau sur le nucléaire. Au siège d’EDF, avenue de Wagram, c’est tambour et trompettes. L’électricien est prêt à lancer six EPR. Trois paires de réacteurs dont il a déjà identifié les sites: Gravelines (Nord) et Penly (Seine-Maritime) pour les deux premiers et Tricastin (Drôme) ou Bugey (Ain) pour le troisième. Le premier EPR est prévu pour 2035.
En attendant, il faut gérer les affaires courantes. C’est-à-dire les 56 réacteurs du parc nucléaire historique. Pour prolonger leur durée de vie de quarante à cinquante ans, EDF s’est engagé dans un vaste programme de près de 50 milliards d’euros appelé “grand carénage”. Problème, le parc qui accuse une moyenne d’âge de plus de 32 ans, connaît des ratés. En 2016, après la chute d’un générateur de vapeur de plus de 450 tonnes, la centrale de Paluel avait été indisponible pendant trois ans. Les tranches de Flamanville 1 et de Flamanville 2 ont été en réparation pendant plus d’un an. Les opérations de maintenance prennent également plus de temps. “Six des treize arrêts de réacteurs prévus entre décembre et février ont fait l’objet d’allongements de leur durée, d’une à six semaines, par rapport aux dates de retour annoncées avant l’été”, indique un rapport de RTE. Autre conséquence du vieillissement du parc, les quatrièmes visites décennales menées par EDF et les experts de l’ASN durent plus longtemps. Au minimum six mois. Aujourd’hui, ces quatrièmes visites se multiplient. Sept ont débuté en 2021 (dont cinq sont toujours en cours), et sept autres commenceront en 2022.
Aux fragilités du parc nucléaire historique, s’est ajoutée la crise sanitaire. Privées d’une grande partie de leurs agents en raison du Covid, les centrales ont dû différer leurs programmes de maintenance. Résultat, la production nucléaire d’EDF a plongé de 12 % l’an dernier, au plus bas depuis presque trente ans. “Certains arrêts de réacteurs nucléaires devant se terminer en amont ou au cœur de l’hiver ont récemment vu leur durée s’allonger”, indiquait récemment RTE. Six des treize arrêts de réacteurs prévus entre décembre et février font aujourd’hui l’objet de prolongations. Aujourd’hui, plus d’un quart des capacités de production du parc nucléaire français est ainsi à l’arrêt.
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