Challenges
Par Nicolas Stiel le 03.02.2018 à 16h00
Ne m’appelez plus jamais Areva… Oubliée l’abbaye cistercienne espagnole d’Arevalo, qui avait inspiré Anne Lauvergeon pour trouver un nom au groupe nucléaire en 2001. Terminé le modèle intégré façon Nespresso. Le directeur général Philippe Knoche, 49 ans, l’a annoncé la semaine dernière. Areva s’appelle désormais Orano, un nom dérivé d’Ouranos, dieu grec du ciel devenu Uranus dans la mythologie romaine et référence lors de l’appellation de l’uranium. Recentrée sur les activités du combustible nucléaire, la nouvelle structure reprend le périmètre de l’ancienne Cogema. Coût du changement de marque : 5 millions d’euros.
Une paille par rapport aux 10 milliards perdus entre 2011 et 2015 et à toutes les avanies subies : retards et surcoûts sur le chantier de l’EPR finlandais, investissements malheureux dans les mines, guerres fratricides avec EDF Pour survivre, Areva a dû couper plusieurs branches : les réacteurs, cédés à EDF ; les renouvelables, à Siemens ; le militaire, à l’Etat. Orano constitue le dernier acte de la restructuration. La société n’est pas cotée, son logo est écrit en minuscules, mais elle affiche de grandes ambitions : être un leader du combustible nucléaire. « Orano est un premium technologique », assure Philippe Knoche.
Un premium technologique dont le chiffre d’affaires, d’environ 4 milliards d’euros, est deux fois moins important que celui de l’ex-Areva. L’effectif a été ramené de 40.000 à 16.000 personnes. Recapitalisé à hauteur de 2,5 milliards d’euros par l’Etat, Orano recevra ces prochaines semaines 500 millions de la part des japonais MHI et JNFL. Avec ces ressources, il entend se développer en Asie, qui représentera la moitié du marché nucléaire lors de la prochaine décennie.
Première cible, la Chine. Orano y vend déjà plus d’uranium qu’en France. Début janvier, le groupe a signé un protocole d’accord avec CNNC pour construire une usine de traitement-recyclage à 10 milliards d’euros (lire encadré). Orano mise aussi sur le démantèlement des vieilles centrales. Un secteur où il a développé des compétences, notamment sur les parties les plus sensibles des réacteurs. Mais où figurent d’autres gros poissons, notamment EDF.
Autre objectif, changer l’organisation, trop focalisée sur la production. D’ici à 2020, un salarié sur deux travaillera dans les services à l’ingénierie (un sur trois aujourd’hui). Le groupe cherche en outre à gagner en agilité. L’an dernier, les dirigeants ont étudié les secrets du lean management, gestion « au plus juste », à l’usine PSA de Mulhouse, afin de les transposer à ses unités. Objectif : augmenter la productivité. Depuis trois ans, l’ex-Areva se serre la ceinture ; 6.000 salariés ont quitté le groupe. Le plan 2015-2017 a fait économiser 500 millions d’euros par an. Le suivant, Value 2020, vise des réductions annuelles de 250 millions.
L’année prochaine, Orano quittera sa tour de la Défense pour un siège plus modeste en région parisienne. « Nos dépenses immobilières passeront alors de 15 millions à 5 millions d’euros », indique Philippe Knoche. Pour l’année fiscale 2018, qui débute le 1er avril, le directeur général mise sur un taux de marge de 8 % et un cash flow net positif. Ce serait une première depuis 2005. « Avec les contrats récurrents venant d’EDF et le marché nucléaire japonais qui redémarre, l’objectif n’est pas irréalisable », estime Nicolas Goldberg, analyste au cabinet Colombus Consulting.
Les dirigeants pointent la force du carnet de commandes : 31 milliards d’euros, soit huit années de chiffre d’affaires. Une assurance tous risques ? « Parler de carnet de commandes dans le nucléaire n’a pas de sens, objecte l’expert Mycle Schneider, auteur du World Nuclear Industry Status Report 2017. L’an dernier, quatre réacteurs ont été lancés dans le monde, alors que l’industrie attendait seize mises en service » Jean-Pierre Bachmann, coordonnateur CFDT, redoute les mouvements d’humeur des politiques : « S’il y a une transition énergétique trop brutale, ça peut nous tuer. »
Depuis la catastrophe de Fukushima en 2011, le nucléaire est un marché de niche. La France et la Corée du Sud réduisent la voilure, la Suisse a rejoint l’Allemagne, l’Italie, l’Autriche et Taïwan pour dire non à l’atome. Aux Etats-Unis, le nucléaire n’est plus compétitif par rapport au gaz de schiste. Orano a dû mettre sous cocon une partie de ses mines. L’uranium se négocie aujourd’hui à environ 24 dollars la livre, près de deux fois moins qu’il y a quatre ans. Les renouvelables ont le vent en poupe. En 2016, les nouvelles capacités se sont élevées à 147 gigawatts, contre 9 pour le nucléaire.
Mais le monde de demain peut-il reposer sur les seuls renouvelables ? L’Allemagne, qui a voulu le faire, a dû rouvrir ses mines de charbon. Et son bilan CO2 s’est dégradé. Pour lutter contre le réchauffement climatique, le nucléaire, énergie décarbonée, fait partie des solutions, estime Philippe Knoche. Pendant dix-sept ans, il a martelé ce discours dans les enceintes d’Areva. Il le fait désormais au sein d’Orano. En bon petit soldat de l’atome.
Quelle valeur accorder au « protocole d’accord commercial » signé début janvier en présence d’Emmanuel Macron et de Xi Jinping pour la construction en Chine d’une usine de traitement de combustibles nucléaires usés ? « Cela représente un montant de 10 milliards d’euros immédiats, s’est enthousiasmé le ministre de l’Economie Bruno Le Maire. Cela sauvera la filière » nucléaire. Vraiment ? Depuis l’accident de Fukushima et la chute des prix de l’uranium, le processus de recyclage des déchets est moins attractif. En outre, la Chine étudie d’autres technologies, dont l’entreposage à sec. Enfin, ce type de contrats où les Etats sont parties prenantes met toujours beaucoup de temps à aboutir. Au Japon, JNFL a reporté 23 fois l’ouverture du site de traitement des combustibles usés de Rokkasho qui avait été signé en 1987 avec la Cogema. Li Ning, membre du comité d’Etat sur les technologies nucléaires, juge « assez faible » la probabilité que Pékin signe un contrat formel avec Orano.