24 janvier 2024
Ça crépite comme un compteur Geiger dans une mine d’uranium : en 2023, Emmanuel Macron a annoncé la prochaine mise en chantier de six EPR. Ou, tiens, non : peut-être 14, à plus long terme. En relançant le nucléaire au nom de la lutte contre le réchauffement, l’Union européenne lui a emboîté le pas. Le Japon, pendant ce temps, promet de nouvelles capacités atomiques. Les États-Unis travaillent sur des réacteurs miniatures. La Chine construit avec ardeur… Tous ces projets ionisants semblent indiquer que l’énergie à base d’atomes fissiles est en plein boum.
En fait, c’est tout le contraire. « The World Nuclear Industry [Status Report] » est un rapport d’experts publié en décembre 2023 sous la direction de Mycle Schneider, alimenté par les chiffres de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) et par les États, le montre : la part de l’électricité produite par le nucléaire dans le monde n’a jamais été aussi faible depuis trente ans (9,2% contre près du double dans les années 90). Il faut dire que, depuis vingt ans, le prix du kilowattheure a légèrement augmenté, tandis que celui du solaire ou de l’éolien ont fondu, représentant souvent aujourd’hui la moitié du prix du premier. En 2022, précise le rapport, 35 milliards d’euros ont été investis dans le nucléaire sur la planète. Contre… 455 milliards dans les renouvelables. La France se relève tout juste de l’annus horribilis 2022. En plus des surcoûts dus à la guerre en Ukraine, les incidents et les arrêts se sont multipliés. En août, 60 % des 56 réacteurs de l’Hexagone se trouvaient en carafe. L’an dernier, la production a augmenté, mais elle est restée au niveau de celle de… 1995. Vitrines du savoir-faire tricolore, les réacteurs EPR ne font pas d’étincelles, cumulant les arrêts, les retards (douze ans pour Flamanville, dans la Manche, et treize ans pour O[l]kiluoto, en Finlande) ainsi que les surcoûts (facture multipliée par 1,7 à Hinkley Point, en Grande-Bretagne, par 3 à O[l]kiluoto et par 6 à Flamanville !)
Pendant ce temps, le plutonium (dont le moindre gramme est d’une toxicité effrayante), qui devait en partie servir de combustible à ces joujoux, s’accumule. Le stock français a atteint un niveau inégalé de 92 tonnes.
Léger problème : comment EDF, qui affiche une dette de 65 milliards d’euros, financera-t-il les projets annoncés ? Cette question n’empêche pas Bruxelles de les soutenir – malgré le désastre industriel en cours. Il n’empêche que, depuis quelques années, ce sont les énergies renouvelables (hydraulique, éolienne et solaire) qui, au sein de l’UE, ont généré le plus d’électricité, devant le nucléaire, suivi par le gaz et le charbon.
La Corée du Sud était naguère l’un des principaux concurrents internationaux d’EDF pour conquérir des marchés à l’étranger. Aujourd’hui, elle se montre nettement plus timide, surtout après une année 2022 calamiteuse. Kepco, l’électricien national, a perdu plus de 22 milliards d’euros, ce qui a contribué à porter sa dette à 131 milliards–un record. L’atome contribue à hauteur de 29,6 % à la production de courant – soit moins que le charbon. Mais c’est promis : d’ici à dix ans, la part de la houille sera divisée par deux, et celle des renouvelables multipliée par trois. Quant au nucléaire : il devrait croître de… 5%.
Le Japon, lui, commence seulement à reprendre du poil de l’atome après la fermeture de nomvreux réacteurs, à la suite de Fukushima. Au déficit d’électricité ainsi généré il faut ajouter le bilan financier de la catastrophe :en 2021, le gouvernement le chiffrait à plus de 200 milliards d’euros. Treize ans après les faits, le Premier ministre, Fumio Kishida, veut accélérer les particules mais ne fournit aucun détail sur les nouveaux réacteurs.
L’an dernier, le niveau de production japonais était au plus bas (équivalant aux années 70), et seulement 6 % de l’électricité était d’origine nucléaire. Malgré les annonces, la méfiance persiste, surtout depuis la découverte des facéties (modification de résultats d’analyses chimiques, falsification de mesures de résistance des matériaux) de Japan Steel Works, fabricant de composants pour les centrales et qui vend au monde entier – notamment à la France…
La Chine est le pays qui mise le plus sur l’atome. Sur 58 réacteurs en construction dans le monde, 23 (40%) se trouvent dans l’empire du Milieu. Mais, si le nucléaire trotte, les renouvelables galopent, bride abattue. La premier représente 5 % de l’électricité, alors que l’éolien et le solaire en fournissent plus de 15%, progressant plus vite que le charbon, qui reste, de loin, la première source de jus. Autre contrariété : Pékin exporte peu son savoir-faire. A cause des États-Unis, entre autres, qui ont blacklisté ses entreprises, accusées d’avoir siphonné la technologie US à des fins militaires. Calomnie !
Les États-Unis restent les champions de cette énergie, mais leurs neutrons ne sont plus très rapides. En 2022, la part du nucléaire dans l’électricité est tombée à 18,2 % – le taux le plus bas depuis 1987 –, soit moins que le charbon et que les renouvelables, passés pour la première fois en pole position. Alors que les réacteurs ricains affichent la moyenne d’âge la plus élevée du monde (42 ans), seuls deux réacteurs ont été mis en service depuis vingt-cinq ans.
Et de quelle manière ! Les AP1000 (sorte d’EPR) de Vogtle (Géorgie) ont démarré en mars 2023, avec huit ans de retard sur le planning et, surtout, un coût estimé à 28,5 milliards d’euros, plus du double du devis initial. « Les Echos » (25/1/22) ont aimablement qualifié l’exploit de « Flamanville » local. Cette débâcle financière a beaucoup contribué à la faillite, en 2017, de Westinghouse, géant de l’assemblage de centrales. L’évènement a aussi provoqué l’arrêt du chantier (neuf ans de travaux) de deux autres AP1000 en Caroline du Sud. Vitrifiés !
Conséquence : les USA misent davantage, à l’avenir, sur les mini-réacteurs, ou SMR. Sauf que NuScale, le champion du genre, a annulé, en novembre dernier, un vaste programme de construction de six de ces miniatures, dont le bugdget avait presque triplé…
La Russie est le véritable champion du monde l’atome civil. Celui-ci, pourtant, ne produit que 20 % de l’électricité du pays. Rosatom, l’EDF local, prévoit bien un petit bond à 25 %, mais en… 2045. C’est à l’étranger que les affaires sont les plus florissantes. La Russie, nation en guerre, bâtit des centrales dans des pays aussi pacifiques que l’Iran, l’Égypte, l’Inde ou la Turquie. Sans oublier la Chine, l’un de ses meilleurs partenaires.
Son secret commercial ? Ses prix discount, ses formules clés en main et, surtout, sa mainmise sur la production d’uranium enrichi, indispensable combustible. Elle en fournit beaucoup à l’Europe mais aussi aux États-Unis, qui s’alimentent à 31 % auprès de Moscou. Tout en imposant des sanctions au pays de Poutine, qui joue de la menace atomique, allant jusqu’à bombarder les alentours de la centrale nucléaire de Zaporijia – la plus grande d’Europe.
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