12 February 2024

Choisir.com (France)

Nucléaire, une baisse « absolument spectaculaire » dans le monde

Voilà un rapport qui ne va pas dans le sens de ce que prônent de nombreux acteurs français favorables à l’atome. Le « World Nuclear Industry Status Report » 2023, publié début décembre, est pourtant catégorique. L’énergie nucléaire connaît une phase de déclin sans précédent au niveau mondial et n’est absolument pas une source énergétique d’avenir en faveur du climat. Quels sont ces difficultés et les arguments développés par ce qui est le seul rapport mondial non étatique sur le nucléaire ? Alors qu’en France le gouvernement veut en faire LA solution pour décarboner l’économie, Choisir.com vous explique pourquoi celui-ci fait sans doute fausse route.
Source : Choisir.com : Nucléaire, une baisse « absolument spectaculaire » dans le monde https://www.choisir.com/energie/actualites/201312/nucleaire-une-baisse-absolument-spectaculaire-dans-le-monde

par Johann Sonneck • le 20 décembre 2023

SOMMAIRE

Le nucléaire représentait moins de 10 % du mix électrique mondial en 2022, une part historiquement faible

C’est le 6 décembre dernier à Bruxelles qu’a été dévoilée la version 2023 du « World Nuclear Industry Status Report » (WNISR). Ce qui forme le seul rapport mondial non étatique sur le nucléaire est :

Les conclusions du WNISR sont sans appel. Alors qu’en France, le gouvernement souhaite développer le nucléaire, cette forme d’énergie est malgré tout en recul au niveau planétaire. Ce constat et le travail réalisé par l’équipe d’experts ne souffrent d’ailleurs d’aucun manque de crédibilité. Preuve en est : le fait que leurs données aient amené l’Agence internationale de l’énergie (AIE) à réviser à la baisse ses propres chiffres sur l’activité réelle des centrales nucléaires dans le monde.

Un seul chiffre permet de mesurer leur réelle importance au niveau international. En effet, en 2022, l’atome a représenté seulement 9,2 % du mix électrique mondial… C’est son niveau le plus bas « depuis 40 ans ». Avec 2 546 térawattheures (TWh) produits l’an dernier, la production mondiale d’électricité nucléaire a baissé de 4 % en un an ! C’est une baisse « absolument spectaculaire », fait remarquer Mycle Schneider.

Une remarque qui peut interroger en France, dans un pays où le gouvernement est ouvertement favorable au nucléaire. En mai, une loi de relance du nucléaire a été définitivement adoptée par le Parlement. Elle prévoit la construction de 6 nouveaux réacteurs à l’horizon 2035. Toutefois, rien qu’avec ses capacités déjà installées, la France est le pays du monde qui a la plus forte part de production nucléaire dans sa production d’électricité. En 2022, plus de 60 % de l’électricité tricolore provenait du nucléaire. Les seuls autres États du monde à comptabiliser plus de 40 % d’électricité d’origine nucléaire l’an passé sont tous européens :

Toutefois, malgré l’importance du nucléaire dans l’Hexagone, le WNISR note que cette évolution à la baisse a quand même frappé notre pays. « La France a subi cette chute de façon chaotique ». En 2022, son parc nucléaire a effectivement connu de nombreux problèmes. Ainsi, les experts relèvent que la France a connu une perte de 129 TWh entre 2010 et 2022. Ils ont aussi pris l’exemple des États-Unis, où se trouve le parc le plus puissant de la planète. « La part de la production nucléaire dans l’électricité est tombée à 18 %, la plus basse depuis 25 ans ».

L’énergie nucléaire perd du terrain face aux énergies renouvelables

Les causes de la réduction de la production électrique d’origine nucléaire ne sont pas difficiles à trouver. Celle-ci est due à la réduction de la taille des réacteurs comme au vieillissement prononcé du parc nucléaire mondial.

En parallèle, le rapport du WNISR observe que « 12 % de la production mondiale d’électricité » a été assurée en 2022 par :

Mycle Schneider confie qu’« en Chine, le photovoltaïque a pour la première fois produit plus d’électricité que le nucléaire, alors même que c’est le seul pays qui a vraiment investi dans l’atome ces vingt dernières années ».

Au niveau mondial, le décalage des capacités installées entre le nucléaire et les énergies renouvelables est de plus en plus criant. En 2022, ces dernières se sont chiffrées à :

Le rapport pointe donc une réalité : l’âge d’or du nucléaire a cessé depuis longtemps, concentré entre 1965 et 1985. Lors des vingt dernières années, « on a compté 105 fermetures de réacteurs et seulement 99 mises en service ». Et encore, parmi ces nouveaux réacteurs, la Chine a été à l’origine de 49 d’entre eux, sans en stopper aucun sur cette période. Sans cet énorme arbre qui cache la forêt, le nombre de mises en service se limiterait donc à 50 réacteurs. Par conséquent, en retirant la Chine, « le solde est une réduction nette de 55 unités ». Le rapport note aussi qu’en 2023, il y avait « 407 réacteurs en activité, d’une capacité de 365 GW ». C’est :

Deux autres chiffres permettent de prendre la mesure de la réelle place du nucléaire dans le monde comme de comprendre cette réduction des mises en service. Ils concernent les investissements énergétiques qui, en 2022, se sont élevés à :

L’an dernier, l’investissement dans les renouvelables a en réalité été synonyme de record historique. C’est « 14 fois plus que dans le nucléaire » ! Cette énorme différence illustre bien à quel point l’atome a finalement une place marginale de plus en plus marquée au niveau planétaire.

La raison de ce moindre investissement est assez logique : la production nucléaire coûte cher, jusqu’à quatre fois plus que l’éolien terrestre selon le WNISR. Un surcoût qui s’explique par :

« Sur les 58 réacteurs en construction dans le monde, 24 subissent un retard, dont 9 ont des retards accrus sur ceux annoncés ». Seuls 7 réacteurs sur les 16 qui devaient être branchés au réseau en 2022 l’ont réellement été. 7 autres réacteurs sont en construction « depuis plus de 10 ans », avec des durées de chantiers qui s’allongent depuis les années précédentes.

Pas besoin d’aller à l’autre bout du monde pour citer un exemple concret. En France, la construction du nouveau réacteur de Flamanville, en Normandie, a commencé en 2007. Sa date de livraison était prévue en 2012. Aujourd’hui, il n’est toujours pas opérationnel, sa date de mise en service ayant été plusieurs fois repoussée. Elle est (pour l’instant) fixée à courant 2024. Cet énorme retard a provoqué l’explosion des coûts de construction qui sont passés :

De nombreux défauts qui montrent, selon le WNISR, que le nucléaire ne peut pas être une réponse en faveur du climat

Les problèmes du coût du nucléaire comme de la lenteur des travaux sont deux des gros points noirs de cette technologie. En France, le coût des 6 EPR prévus pour 2035 est estimé à 51,7 milliards d’euros, soit 8,6 milliards pièce. C’est toutefois bien inférieur aux :

Ces coûts annoncés par EDF et l’État français sont-ils donc réalistes ou va-t-on faire face de manière inéluctable à une nouvelle explosion d’ici 2035 ?

L’ensemble des chiffres livrés par le WNISR ont en tout cas de quoi interpeller. Ils posent finalement la question de la place que l’atome doit/peut tenir face à l’indispensable transition écologique à réaliser. En France, certains acteurs pensent que le nucléaire n’est pas une vraie solution pour le climat et qu’investir dans cette technologie est même un mauvais choix pour l’environnement.

Mycle Schneider et ses collègues sont du même avis. « Tout investissement dans le nouveau nucléaire est une catastrophe pour une protection efficace du climat, car le capital humain et financier limité est détourné des options disponibles produisant des résultats à court terme ». Autrement dit, investir dans l’atome prive les énergies renouvelables de moyens supplémentaires de développement, alors qu’elles proposent des résultats de décarbonation bien plus rapides que le nucléaire.

Le rapport du WNISR note aussi qu’il n’y a « pas de progrès notable » dans le domaine des petits réacteurs, les Small Modular Reactors (SMR) . Le projet américain NuScale, le plus avancé des SMR, a même été abandonné. La raison : « son coût par kilowatt (kW) se révélait deux fois plus élevé que celui du plus cher des EPR européens ».

Enfin, le rapport aborde d’autres points délicats indissociables de l’énergie nucléaire. Au niveau des démantèlements des réacteurs arrêtés, ils sont malheureusement « sans progression depuis l’an dernier ». Le cas des catastrophes a aussi attiré l’attention des experts, spécialement celle de 2011 à Fukushima au Japon. Ils regrettent que, sur les 165 000 habitants évacués en urgence, 27 000 d’entre eux vivent encore « comme des réfugiés ».

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