Amélie Laurin • 13 décembre 2024
Alors que la France se veut le fer de lance de la relance nucléaire en Europe, avec EDF comme chef de file, c’est le russe Rosatom qui se prépare à donner les premiers coups de pioche du prochain chantier sur le point de s’ouvrir dans l’Union européenne.
Le gouvernement hongrois a en effet donné début décembre son feu vert à la société publique russe Rosatom pour le « premier béton » des deux futurs réacteurs de la centrale nucléaire de Paks 2. Avec ce coup de tampon, le chantier de construction de deux réacteurs VVER de conception russe, de 1,2 gigawatts chacun, pourra démarrer l’an prochain.
A la centrale de Paks, à 100 kilomètres de Budapest, l’excavation du sol sur 23 mètres de profondeur est déjà en cours et 39.000 des 75.000 pieux prévus sont en place, raconte « World Nuclear News ». Les réacteurs doivent être mis en service au début des années 2030. Ils visent à remplacer les quatre petits réacteurs historiques du site, dont la durée de vie a été prolongée.
Le feu vert hongrois au « premier béton » de Paks 2 illustre la proximité forte du pays avec Moscou, mais aussi la relative imperméabilité de l’industrie de l’atome aux sanctions européennes envers la Russie, qui frappent durement d’autres secteurs économiques depuis le début de la guerre en Ukraine, en 2022.
L’histoire de Paks 2 n’est toutefois pas une promenade de santé, pour les Russes comme pour les Hongrois. Le mois dernier, le gouvernement de Viktor Orban a soumis au parlement un projet de loi autorisant une révision du contrat avec la Russie, afin de revoir à la hausse le coût de construction, si nécessaire. Paks 2 devait initialement coûter 12,5 milliards d’euros, financés à hauteur de 10 milliards par un prêt de la Russie.
Moscou avait obtenu le chantier en 2014, sans appel d’offres. Une décision contestée, mais finalement validée en 2017 par la Commission européenne. Budapest est largement dépendant de la Russie, pour le gaz comme pour le nucléaire. Ses quatre réacteurs VVER, de conception russe, ont produit l’an dernier « 49 % de l’électricité du pays », soit le « quatrième pourcentage le plus élevé au monde » d’approvisionnement nucléaire, pointe le dernier World Nuclear Industry Status Report.
A ce jour, 19 réacteurs VVER sont en service dans l’Union européenne, de la Finlande à la Slovaquie. Un héritage de l’époque soviétique. L’Ukraine en compte également 15, dont 6 sur le site deZaporijjia, occupé par l’armée russe.
En Europe centrale, le quasi-monopole de Rosatom a créé une dépendance technique, notamment pour le combustible. Entre 2021 et 2023, les exportations d’assemblage de combustible russe vers l’Union européenne ont plus que doublé pour atteindre 573 tonnes, selon le World Nuclear Industry Status Report (hors Bulgarie, où les données ne sont pas disponibles). Elles ont plus que triplé en Hongrie et quadruplé en Slovaquie. Après le déclenchement de la guerre en Ukraine, ces pays « ont constitué des stocks », décrypte Mycle Schneider, coordinateur de l’étude.
Le seul fournisseur alternatif de combustible compatible avec les VVER est l’américain Westinghouse. Le français Framatome a décidé de s’allier à Rosatom pour en fabriquer dans son usine allemande, mais le projet n’a pas encore vu le jour.
A l’échelle mondiale, la Russie est le deuxième constructeur de nouveaux réacteurs nucléaires derrière la Chine, qui concentre ses 29 tranches en construction sur son territoire national. A la mi-2024, Rosatom comptait six chantiers en Russie et 20 dans sept pays comme la Chine, l’Egypte et la Turquie, recense le World Nuclear Industry Report Status. Il est toutefois difficile de savoir dans quelle mesure leur déroulement est affecté par les tensions géopolitiques.
En dehors de ces pays amis, la Russie a quand même perdu de son influence. La République tchèque, qui compte six VVER, a décidé de confier la construction de ses futurs réacteurs au coréen KHNP… au grand dam d’EDF et Westinghouse, qui ont contesté ce choix.
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