Par Sharon Wajsbrot • publié le 21 Août 2023
Si Emmanuel Macron a levé un tabou en évoquant en février 2022, le projet de prolonger le parc nucléaire français jusqu’à cinquante années d’exploitation et au-delà, les autres pays adeptes du nucléaire ont déjà engagé ce chantier depuis longtemps.
Les Etats-Unis qui concentrent le premier parc nucléaire mondial, avec une centaine de réacteurs en exploitation, ont octroyé dès décembre 2019 des licences pour prolonger la durée de vie des deux réacteurs de la centrale de Turkey Point, en Floride, jusqu’à 80 ans. Selon le World Nuclear Industry Status Report, six réacteurs bénéficient à ce jour d’un permis pour produire de l’électricité jusqu’à 80 ans outre-Atlantique et neuf dossiers sont en cours d’examen.
L’approche des régulateurs américains est toutefois très différente de celle de l’ASN française : si EDF doit mettre à niveau ses réacteurs pour qu’ils répondent aux meilleurs standards de sûreté disponibles sur le marché, les exploitants américains doivent eux seulement démontrer qu’ils ont mis en place des programmes pour surveiller et gérer les effets du vieillissement.
Au Japon, le gouvernement suit la même voie : dans un souci de relancer l’industrie de l’atome pour réduire ses émissions de CO2, l’archipel a adopté une loi début 2023 permettant de prolonger la durée de vie de ses centrales au-delà de 60 ans. Pour gagner encore du temps, le gouvernement nippon a aussi décidé de modifier les modalités de calcul de « l’âge » de ses centrales : les phases d’arrêt, dues aux longs contrôles de sécurité ne sont plus comptées désormais comme du temps d’exploitation.
Dos au mur, la Belgique a aussi décidé après le début de la guerre en Ukraine de prolonger deux de ses réacteurs qui avaient atteint leur durée de vie maximale théorique de 40 ans, Doel 4 et Tihange 3. Le sujet commence même à préoccuper la Chine dont le parc nucléaire est très récent. Début 2020, le régulateur national a octroyé ving ans supplémentaires au plus vieux réacteur chinois en opération, celui de Qinshan 1, initialement autorisé à fonctionner pendant trente ans.
Face aux coûts, aux délais et aux incertitudes liées aux chantiers de construction neuves, la prolongation de la durée de vie des centrales semble une option incontournable. D’autant qu’à en croire le récent rapport de la World Nuclear Association, la production d’électricité ne décroit pas forcément dans une centrale ancienne.
« Il n’y a pas de corrélation directe entre l’âge du réacteur et sa performance, mais on observe que les réacteurs âgés de 25 à 35 ans ont affiché un taux de disponibilité plus faible entre 2018 et 2022, en moyenne, que ceux âgés de plus de 45 ans », indique le rapport. La raison tient sans doute aux systèmes de sûreté moins contraignants dont disposent les centrales les plus anciennes où encore à leur localisation.Les Etats-Unis qui affichent le parc le plus âgé du monde font fonctionner leurs réacteurs en continu.
Si cette stratégie de prolongation des réacteurs existants doit permettre d’amortir le choc de la guerre en Ukraine ou encore d’aider certains pays à engager leur transition énergétique, elle risque de ne répondre que très partiellement aux besoins en électricité qui se profilent.
L’âge moyen du parc mondial atteint désormais 30,9 ans (41,2 ans aux Etats-Unis, 36,6 ans en France, 28,4 ans en Russie, 22,4 ans en Corée du Sud et 8,8 ans en Chine) et en dépit des prolongations de nombreuses fermetures sont prévues d’ici à 2030.
A cet horizon, « il faudrait la mise ou remise en service de 110 réacteurs supplémentaires (ou 83,5 GW) - soit un réacteur ou 0,7 GW par mois - pour compenser les fermetures. Cela équivaudrait à doubler le rythme annuel de mises en service observé au cours de la dernière décennie pour passer de 6 à 12 par an jusqu’en 2030 », pointe encore le World Nuclear Industry Status Report. Un rythme impossible à tenir
(Plus...)