L’improbable renaissance nucléaire 13 juillet 2013 | Par Michel de Pracontal
Deux ans après l’accident de Fukushima, quelles perspectives pour l’industrie nucléaire ? Depuis une décennie, l’industrie de l’atome civil annonce une « renaissance nucléaire », que la hausse des prix des combustibles fossiles et le souci de limiter les émissions de gaz à effet de serre rendraient inévitable. Force est de constater que ce scénario semble de moins en moins plausible. Et la probabilité qu’il se réalise à l’échelle planétaire apparaît aujourd’hui quasiment nulle.
À l’opposé, l’édition 2013 du World nuclear industry status report, qui vient d’être mise en ligne (voir ici), démontre, sur la base d’un argumentaire détaillé et chiffré, un déclin progressif de l’industrie nucléaire dans le monde. Ce rapport, établi par Mycle Schneider et Antony Froggatt, consultants indépendants, n’est certes qu’une photographie de la situation, à la date du 1er juillet 2013. Il ne préjuge pas d’un renversement de tendance à moyen ou long terme. Mais les nombreux documents rassemblés par Schneider et Froggatt, qui observent l’évolution du nucléaire depuis de longues années, montrent une industrie davantage en situation de survie qu’en expansion à grande échelle.
Les récentes données chiffrées confirment dans l’ensemble les tendances observées dans l’édition 2012 du même rapport, dont nous avions rendu compte (voir là). En 2012, les 427 réacteurs en service dans le monde ont produit 2 346 TWh (térawatts-heure), soit 7 % de moins qu’en 2011 et 12 % de moins qu’en 2006 où l’on avait atteint le record historique avec 2 660 TWh. Les trois quarts de cette baisse s’expliquent par le fonctionnement au ralenti du parc nucléaire japonais, dont seulement deux réacteurs produisent de l’électricité, sur un total de 44 réacteurs encore en service (les 6 réacteurs de Fukushima Daiichi et les 4 de Fukushima Daini sont définitivement arrêtés). Qui plus est, une quarantaine de réacteurs sont en arrêt depuis plus d’un an et le fait qu’ils soient classés « en activité » plutôt qu’en « arrêt à long terme » relève plus d’un affichage politique que d’une réalité pratique (voir ici).
Le Japon n’est pas le seul pays à avoir diminué sa production d’électricité nucléaire. C’est aussi le cas, quoique dans des proportions moindres, de 16 pays, dont les cinq premiers producteurs d’électricité nucléaire (Allemagne, Corée du Sud, États-Unis, France et Russie). Au total, la part du nucléaire dans la production globale d’électricité est en baisse : elle est passée de 17 % en 1993 à 11 % en 2011 et 10 % en 2012. Si l’on considère la production mondiale d’énergie primaire, la contribution de l’atome n’est plus que de 4,5 %, niveau le plus bas depuis 1984.
Le seul paramètre en hausse est le nombre de réacteurs en construction, qui passe de 59 en 2011 à 66 en 2012. Mais ce chiffre doit être pris avec précaution. Sur les 66 réacteurs déclarés en construction, une grande partie n’existent que sur le papier. Pour 45 projets, il n’existe pas de date officielle de mise en service planifiée. Au moins 23 ont eu des retards atteignant souvent de nombreuses années. Neuf réacteurs sont recensés « en construction » depuis plus de vingt ans et quatre autres depuis dix ans ou plus. Enfin, les deux tiers des unités en construction sont localisés en Chine, en Inde ou en Russie, trois pays qui ne se sont pas illustrés par la transparence de leur politique nucléaire.
En Russie, un réacteur dont la construction avait commencé en 2012 a été abandonné cet année. La Chine, neuvième producteur mondial d’électricité nucléaire, abrite 28 projets de construction sur les 66 prévus dans le monde. Elle a marqué une pause après Fukushima. Fin 2012, la construction de quatre nouveaux réacteurs a été entreprise, mais aucun nouveau projet n’a été démarré en 2013, et le rythme du programme nucléaire chinois reste ralenti. Le pays ne semble pas devoir retourner à la cadence de dix commandes nouvelles par an de la période 2007-2008.
Dans le monde, 34 réacteurs ont démarré entre 2003 et juillet 2013. Leur construction a demandé en moyenne 9,4 ans. En 2012, trois nouveaux réacteurs ont démarré tandis que six ont fermé. Dans la première moitié de 2013, on a dénombré un seul nouveau démarrage et deux fermetures, toutes aux États-Unis. Globalement, les chantiers sont de plus en plus onéreux, leur durée augmente et les contraintes de sûreté conduisent souvent à des retards ou à l’abandon de projets.
Dans ces conditions, l’avenir du nucléaire semble devoir être limité à un petit nombre de pays. Aux États-Unis, pour la première fois en 35 ans, deux nouveaux chantiers ont démarré en 2012. Mais quatre autres ont fermé dans le même temps. De plus, le coût des deux nouvelles centrales est très élevé et leur délai de construction incertain. Surtout, le développement des gaz de schiste rend peu vraisemblable un retour en force du nucléaire.
L’évolution du Japon reste très incertaine, mais un redémarrage rapide paraît exclu, alors que la situation à Fukushima n’est toujours pas sous contrôle (le rapport y consacre un chapitre). La France, deuxième puissance électronucléaire mondiale, attend toujours un programme de réacteurs de « troisième génération » dont la locomotive, l’EPR de Flamanville, n’en finit pas de cumuler les avanies. Son coût atteint aujourd’hui 8,5 milliards d’euros, deux fois et demi la facture initialement prévue, et le chantier a quatre ans de retard (l’ouverture est prévue en 2016).
Les énergies renouvelables, de plus en plus compétitives, et les gaz de schiste, qui changent la donne en Amérique du Nord, sont en train de réduire les perspectives de développement du nucléaire. Pour la seule année 2012, dans le monde, 45 GW (gigawatts) de puissance en énergie éolienne et 32 GW en photovoltaïque ont été installés, pour seulement 1,2 GW d’électronucléaire. En 2012, la Chine et l’Inde ont pour la première fois produit plus d’électricité éolienne que nucléaire. Un renversement de tendance ne peut être a priori exclu, mais il apparaît aujourd’hui davantage comme un wishful thinking de l’industrie de l’atome que comme un scénario crédible. Et en tout état de cause, il ne se produira pas à court terme.