6 January 2017

Les Echos (France): Nucléaire : les retards, loin d’être une exception française

L’an dernier, dix réacteurs neufs ont été connectés, presque tous en Asie. Les deux tiers des tranches en construction accusent des retards.

Nucléaire : les retards, loin d’être une exception française

Les Echos, Le 05/01/2017 à 06:00 Mis à jour à 10:02

Veronique Le Billon

Les pays d’Asie et d’Europe de l’Est continuent à truster le marché de la construction neuve de réacteurs nucléaires. L’an dernier, dix nouveaux réacteurs ont été connectés au réseau électrique, dont cinq en Chine, un en Corée du Sud, un en Inde, un au Pakistan et un en Russie, selon le bilan annuel que vient de publier la WNA, qui représente les industriels du secteur. Seul un réacteur a été démarré à l’Ouest, aux Etats-Unis. Et c’est un cas particulier : la construction avait débuté il y a plus de trente ans. En parallèle, trois réacteurs (un aux Etats-Unis, un au Japon et un en Russie) se sont officiellement arrêtés l’an dernier, précise la WNA.

Le rythme de démarrage des nouveaux réacteurs est resté ralenti ces dernières années par les retards enregistrés sur de nombreux chantiers, notamment des réacteurs de troisième génération, qui répondent à des normes de sûreté plus strictes. La Russie a connecté son premier VVER-1200 à Novovoronezh l’an dernier avec quatre ans de retard, tout comme la Corée du Sud, avec son premier APR-1400. De leur côté, les huit AP1000 de Westinghouse (la filiale américaine de Toshiba) accusent tous des retards de plusieurs années sur leur planning initial (de l’ordre de deux à trois ans pour les quatre réacteurs en construction aux Etats-Unis, et d’environ quatre ans pour le premier des quatre exemplaires prévus en Chine). Tout comme les quatre EPR français en chantier dans le monde (six ans pour Flamanville en France, neuf ans pour Olkiluoto en Finlande et trois ans pour Taishan en Chine). Mais d’autres chantiers, sans être des premiers exemplaires de nouveau modèle, dont le design est souvent à retoucher en cours de construction, affichent aussi des dérapages.

Globalisation

Sur les 55 réacteurs en chantier recensés par le World Nuclear Industry Status Report (60 selon WNA), au moins 35 sont en retard, d’autres n’ayant pas atteint leur date de mise en service. « Les retards concernent toutes les géographies et tous les fournisseurs. Ils n’arrivent notamment pas à construire selon les spécifications techniques demandées par les autorités de sûreté, que ce soit sur le béton, les soudures ou le passage au numérique du contrôle commande », pointe Mycle Schneider, chercheur indépendant et auteur du WNISR. « Par rapport aux constructions des années 1970, la globalisation est aussi un facteur de retard. En Finlande, il y a plus de 50 nationalités pour construire l’EPR. Quand le chef d’équipe ne peut pas communiquer avec ses ouvriers, cela pose des problèmes », poursuit Mycle Schneider. Un problème relevé d’ailleurs par le PDG d’ EDF, Jean-Bernard Lévy (« Les Echos » du 16 juin). Des industriels reconnaissent aussi avoir parfois péché par optimisme pour pousser une décision d’investissement.

Sur le papier, 2017 devrait voir arriver sur le réseau un nombre important de réacteurs - une dizaine rien qu’en Chine, selon Mycle Schneider, dont les quatre AP1000 de Westinghouse, après avoir connu de lourds problèmes de qualité des pompes. « Les essais à chaud [dans des conditions de température et de pression réelles, NDLR] se sont terminés avant Noël sans problème majeur et le chargement du combustible pourrait avoir lieu fin janvier pour un démarrage de Sanmen 1 en mars », indique un industriel au fait du dossier.

En concurrence sur le marché chinois des réacteurs de troisième génération, le premier EPR construit à Taishan « est quasiment terminé, estimait de son côté mi-novembre le patron du nucléaire neuf d’EDF, Xavier Ursat. Le couvercle de la cuve a été scellé début novembre et les “essais chauds” ont démarré. Le chargement du combustible aura lieu en 2017 », précisait-il. Le vrai démarrage pourrait toutefois n’intervenir qu’en 2018, note une source au fait du dossier.

Cette année, les regards seront aussi tournés vers Abu Dhabi, dont le premier appel d’offres nucléaire avait échappé en 2009 à la France au profit de la Corée de Sud. « Si Barakah 1 était mis en service cette année, cela ferait sensation, parce qu’il serait dans le planning, ce qui n’est pas arrivé depuis très longtemps pour une première réalisation d’un pays, et un premier réacteur hors de son pays pour la Corée », pointe Mycle Schneider. L’émirat est toutefois très peu transparent sur l’avancée réelle du chantier.

Aux Etats-Unis, l’incertitude croît en revanche sur les nouveaux délais de construction des quatre AP1000 de Westinghouse. Toshiba a annoncé la semaine dernière s’attendre à des dépréciations de plusieurs milliards de dollars liées à des retards sur la construction des unités américaines. Elles étaient attendues sur le réseau à partir de 2019.

Véronique Le Billon, Les Echos

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