par Nicolas Stiel • 6 mars 2024
C’est une étude que les grands pontes d’EDF et tous les thuriféraires du nucléaire préféreraient ignorer ou écarter d’un revers de main. Au moment où un grand nombre de pays se réintéressent à l’atome dans la perspective de décarboner leurs économies, le think tank World Nuclear Industry Status Report vient un peu casser l’ambiance. Depuis le discours de Belfort d’Emmanuel Macron en février 2022, la France a décidé de relancer le nucléaire. Six EPR 2, avec la possibilité de huit supplémentaires, sont prévus au cours des prochaines décennies. Paris a réussi à attirer dans son sillage une quinzaine de pays européens. Lors de la 28e COP à Dubaï en décembre dernier, 25 nations dont la France, les Etats-Unis et le Royaume-Uni se sont engagés à tripler la capacité de production nucléaire mondiale d’ici à 2050.
Mais le rapport 2023 du WNISR montre que cet objectif est un brin irréaliste. « Rien que pour maintenir le nombre actuel de réacteurs en service, il faudrait dans les 26 ans à venir que 270 réacteurs supplémentaires soient planifiés, construits et mis en service, indique Mycle Schneider, coordinateur du WNISR. Ce qui veut dire le démarrage de dix réacteurs chaque année, un rythme de construction deux fois supérieur au taux moyen observé au cours des vingt dernières années. »
Le constat des experts du World Nuclear Industry Status est sans appel. Industrie vieillissante — la moyenne d’âge des réacteurs est de 31,4 ans et même de 42 ans aux Etats-Unis- le nucléaire est en passe de devenir un secteur de niche. La part de cette énergie dans le mix électrique mondial est tombée à 9,2 % en 2022, très loin du sommet de 1996 (17,5 %). Au cours des vingt dernières années il y a eu 102 démarrages de réacteurs et 104 fermetures.Chiffres en vérité trompeurs car ils masquent la part quasi hégémonique de la Chine. Entre 2004 et 2023, Pékin a ou lancé 49 réacteurs et n’en a fermé aucun. Aujourd’hui, 60 tranches nucléaires sont en construction et près de la moitié (26) se trouvent dans l’ex-Empire du Milieu. Les autres réacteurs sont construits majoritairement par la Russie qui, via son bras armé Rosatom, domine le marché à l’exportation. « Depuis la décision de réaliser les EPR de Hinkley Point au Royaume-Uni (avec comme maître d’œuvre EDF), 31 nouveaux chantiers ont démarré, indique Mycle Schneider. Vingt viennent de la Chine, onze de la Russie. »
Le nucléaire peut-il encore être une industrie d’avenir ? Cette énergie a bien sûr le grand avantage de ne pas émettre de CO2. Mais ces dernières années de nombreux réacteurs ont mis la clé sous la porte car non compétitifs par rapport aux autres énergies, le charbon et le gaz.Aujourd’hui, la menace vient des renouvelables. « De 2009 à aujourd’hui, les coûts de l’éolien et du solaire ont chuté de 63 % et de 83 % quand ceux du nouveau nucléaire ont augmenté de 47 % », indique Mycle Schneider. Le coordinateur du WNISR ne voit pas d’éléments susceptibles de changer la donne. « Il y a beaucoup de rhétorique, beaucoup d’annonces, des changements de cadrage politique, mais sur le terrain il n’y a rien », affirme-t-il.
Mycle Schneider dénigre ainsi l’EPR 2 « dont le coût a augmenté de 30 %. » Même jugement négatif sur les SMR. Pour l’expert, ces petites unités ne sont que des réacteurs Powerpoint. « Le projet américain NuScale qui a été abandonné en novembre dernier avait un coût de 20 000 dollars par kilowatt, deux fois supérieur à celui de l’EPR », dit-il. Un échec condamne-t-il automatiquement une nouvelle filière ? Aujourd’hui, les SMR dont la vocation est de se substituer aux centrales au charbon et au gaz ont le vent en poupe. De nombreuses start-up en France et à l’étranger ont investi le créneau. A elles maintenant de démentir les sombres perspectives du WNISR.
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