Tepco est mis sous tutelle au Japon
Lundi 12 août 2013
Daniel Eskenazi
Les autorités, fâchées par la gestion calamiteuse des suites de la catastrophe de Fukushima, placent Tepco sous étroite surveillance
Le gouvernement de Shinzo Abe effectue un virage à 180 degrés. Après l’aggravation de la situation à la centrale de Fukushima Daiichi cette semaine, Tokyo a décidé d’intervenir dans la gestion des affaires de Tepco. Pour la première fois en deux ans et demi, le pouvoir japonais estime que l’entreprise nationalisée n’est plus capable de gérer seule la situation. «Plutôt que de tout confier à Tepco, nous devons créer une stratégie au niveau national», a récemment avancé le premier ministre pro-nucléaire, à la suite d’une rencontre avec l’équipe gouvernementale chargée d’apporter des solutions à la catastrophe nucléaire. Ce changement d’attitude intervient dans un climat de méfiance du gouvernement vis-à-vis de l’entreprise, qui perd jour après jour le contrôle de Fukushima Daiichi. Le Ministère de l’environnement estime que 300 tonnes d’eau contaminée s’écoulent chaque jour dans l’océan, soit l’équivalent d’une piscine olympique par semaine. L’absence de stratégie de Tepco fait l’objet de critiques toujours plus vives dans l’Archipel. «Les actions de Tepco sont réactives et lentes», a déploré mercredi devant la presse Kiyoshi Takasaka, membre d’un comité d’experts nucléaires qui conseille la préfecture de Fukushima. Selon Mycle Schneider, expert indépendant, l’intervention de trois autorités, dont le gouvernement et l’organisme de réglementation du nucléaire, constitue une première depuis le début de la catastrophe. «L’Etat prend enfin ses responsabilités en tant qu’actionnaire majoritaire de Tepco (ndlr: l’opérateur a été nationalisé en juin 2012)», juge l’auteur d’un rapport récent sur l’industrie nucléaire dans le monde (http://www.worldnuclearreport.org/-2013-.html). Toutefois, tempère-t-il, l’Etat n’a pas encore alloué des moyens exceptionnels pour faire face à une catastrophe sans précédent. La gestion d’une énorme quantité d’eau hautement radioactive entreposée dans des cuves inappropriées, ainsi que de celle qui se déverse dans l’océan, nécessite des expertises extraordinaires. Dépassé par des avaries qui se sont multipliées sur le site de la centrale depuis mars dernier, Tepco a longtemps tergiversé. L’opérateur a admis fin juillet que des quantités importantes d’eau hautement radioactive s’écoulaient dans l’océan après avoir longtemps nié ce que des experts avançaient depuis des mois. Son incapacité à gérer la situation a rappelé aux Japonais le manque de mesures prises dans les semaines qui ont suivi la catastrophe. «Dès le début de l’accident nucléaire, nous avons insisté sur le fait que la gestion ne devait pas être uniquement confiée à Tepco, rappelle le porte-parole des coopératives de pêcheurs japonais. Nous voulions que le gouvernement agisse rapidement. Désormais, cela ne fait plus de différence si une goutte ou 300 tonnes d’eau contaminée fuient dans l’océan. Nous voulons simplement que cela cesse au plus vite.» Interrogé sur sa lenteur, Tepco répond qu’il ne disposait pas des données nécessaires pour conclure à des fuites dans l’océan. «Nous ferons le maximum pour réduire la quantité d’eau qui s’y écoule. Nous avons commencé samedi à pomper les eaux souterraines (ndlr: hautement radioactives) pour les placer dans des cuves», a expliqué une porte-parole de l’opérateur. Désormais, la création d’un mur de 1,4 kilomètre de long formé de terre gelée autour des réacteurs 1 et 4 pour empêcher des fuites dans l’océan est privilégiée. Kajima, entreprise déjà active dans les travaux de décontamination de la centrale, est pressenti comme maître d’œuvre. Ce projet devrait coûter au minimum 400 millions de francs. Le Ministère de l’économie, du commerce et de l’industrie envisage d’inclure les coûts de l’opération dans sa demande de budget pour l’année fiscale 2014. Les coûts de décontamination sont estimés à près de 10 milliards de francs. Au total, l’Etat a dépensé plus de 50 milliards pour sauver Tepco.