Les centrales suisses sont plus âgées qu’ailleurs dans le monde
L’âge moyen des réacteurs suisses est de 41 ans. C’est plus que la moyenne mondiale. Est-ce un problème? Les avis divergent
Le Temps, publié vendredi 25 novembre 2016 à 15:10
Bernard Wuthrich
Les partisans de l’abandon rapide de l’énergie nucléaire le répètent à l’envi durant la campagne: c’est en Suisse que se trouvent les plus vieilles installations du monde. C’est effectivement le cas, puisque le réacteur I de Beznau est le plus ancien en service sur la planète. Bien qu’à l’arrêt depuis 19 mois en raison de défauts sur la cuve de pression, il est considéré comme étant en fonction depuis 47 ans. Sa mise en service a précédé d’un mois celle des deux tours de Tarapur, en Inde.
Le réacteur II de Beznau et Mühleberg sont à peine moins âgés: ils fonctionnent depuis 45 et 44 ans. Si l’initiative «Sortir du nucléaire» est rejetée dimanche, celui de Mühleberg s’arrêtera de toute façon en 2019, à l’âge de 46 ans. Ainsi en a décidé son propriétaire, les Forces motrices bernoises (BKW).
«Un parc vieux en comparaison internationale»
Expert international indépendant mais critique, Mycle Schneider confirme que les centrales suisses ont une durée de vie supérieure à la moyenne mondiale: elle est de 41,2 années, alors qu’elle ne dépasse pas 31,4 années au sein de l’UE, 29 au niveau mondial et seulement 7 en Chine. Editeur du World Nuclear Industry Status Report (WNISR) – «le seul rapport indépendant sur le plan mondial» – lauréat en 1997 du Right Livelihood Award (considéré comme le «Prix Nobel alternatif»), Mycle Schneider a calculé l’impact de la votation de dimanche.
L’initiative requiert l’arrêt en 2017 des trois plus anciens sites de production de courant nucléaire. Dès 2018, l’âge moyen des centrales suisses, c’est-à-dire Gösgen (1979) et Leibstadt (1984), descendrait ainsi à 36 ans. Mais cette moyenne remonterait rapidement à 45 ans, durée d’exploitation maximale autorisée par l’initiative, avant de retomber à 0 en 2030.
En cas de non, l’âge moyen dépasserait 45 ans en 2022 et 50 ans en 2026. «Il n’y a pas de véritable inversement de tendance. Cela reste un parc vieux en comparaison internationale. Si l’âge moyen croît, on se rapproche de la mort», commente Mycle Schneider.
Rééquipements réguliers
Est-ce un problème? Clairement, répondent les défenseurs de l’initiative. Ils qualifient l’éventuelle reprise de l’exploitation commerciale de Beznau I, demandée par son propriétaire Axpo, de «dangereuse expérience en temps réel». La radioactivité, les pressions et les températures élevées provoquent «une forte usure du matériel et de la mécanique et nécessitent de constants remplacements», ajoutent-ils.
Interrogée par «Le Temps», Doris Leuthard met l’accent sur ces remplacements pour justifier la poursuite des activités des vieux réacteurs: «Contrairement à d’autres pays qui ont dès le départ défini une durée d’exploitation maximale, la Suisse a opté pour une autorisation illimitée pour autant que la sécurité soit assurée. Cela exige des investissements réguliers. Malgré son grand âge, Beznau I peut être comparé à une centrale plus récente, car son propriétaire a beaucoup investi dans le renouvellement de ses composantes.»
Les antinucléaires ne sont pas convaincus par cette explication. «Des éléments essentiels du réacteur ne peuvent pas être remplacés, comme la cuve de pression qui contient les barres de combustible», répliquent-ils. Ancien responsable de la sécurité nucléaire en Allemagne, Dieter Majer relève de son côté que les concepts de construction de Mühleberg et Beznau «remontent aux années 60 et présentent des déficits de sécurité et des faiblesses conceptuelles par rapport aux installations modernes».
Ils peuvent durer 50 ans
Le Conseil fédéral n’en démord toutefois pas. Il souligne que les centrales suisses ont réussi le test de résistance de l’UE après Fukushima et reste convaincu que les réacteurs suisses peuvent durer 50 ans. Il rappelle que l’Inspection fédérale de la sécurité nucléaire (IFSN) «peut ordonner l’arrêt immédiat d’une centrale si nécessaire». L’IFSN doit précisément se prononcer ces prochaines semaines sur le redémarrage de Beznau I. Il devra aussi donner le feu vert à la reconnexion au réseau de Leibstadt, à l’arrêt depuis août. De l’oxydation a été découverte sur 45 éléments combustibles, dont 15 devront être remplacés, selon Axpo. Greenpeace réclame une expertise externe.
Selon les statistiques de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), il y a aujourd’hui 446 centrales nucléaires dans le monde et 58 sont en construction, dont 21 en Chine, 7 en Russie et 6 en Inde. «La Chine est l’exception dans une tendance au déclin du nucléaire dans le monde», relève Mycle Schneider. Afin d’avoir une vision plus fine, il a recensé séparément les réacteurs mis à l’arrêt prolongé. Il en compte 36 au Japon et d’autres notamment en Suède et à Taïwan. Beznau I entrera dans cette catégorie au prochain recensement. Des 402 en fonctionnement, 59 ont plus de 41 ans, dont 5 en Europe et 3 en Suisse.