Quatre climatologues de renom lancent un appel en faveur d’un essor du nucléaire
Le Figaro, Mis à jour le 03/12/2015 à 21h37 | Publié le 03/12/2015 à 19h47
Par Tristan Vey
Les énergies renouvelables seules ne suffiront pas à enrayer le réchauffement estiment quatre scientifiques, qui préconisent le recours temporaire au nucléaire afin de gagner du temps.
Quatre éminents climatologues ont lancé hier au Bourget, en marge de la COP21, un appel pour «une expansion majeure de l’énergie nucléaire» dans le monde afin d’atteindre l’objectif de limiter le réchauffement en dessous de 2 °C. L’initiative vient une nouvelle fois de James Hansen, l’ancien directeur du Goddard Institute de la Nasa qui avait le premier tiré la sonnette d’alarme sur le réchauffement climatique actuel et théorisé sa probable origine anthropique (largement confirmée depuis). Depuis quelques années, la «star du climat» milite activement pour le déploiement de cette énergie à grande échelle à coup de tribunes et de conférences.
« La première urgence, c’est le réchauffement, ce ne sont pas les déchets nucléaires ou les questions de sécurité. »
Tom Wigley
Il s’est associé dans cette croisade énergétique à Tom Wigley, célèbre climatologue de l’université d’Adélaïde, en Australie, Kerry Emmanuel, du Massachusetts Institute of Technology (MIT) et Ken Caldeira, de la Carnegie Institution for Science. «Les énergies renouvelables seules ne suffiront pas à enrayer le réchauffement», assure Tom Wigley au Figaro. «La première urgence, c’est le réchauffement, ce ne sont pas les déchets nucléaires ou les questions de sécurité. Nous pouvons très bien enterrer les déchets dans des puits de plusieurs kilomètres de profondeurs sans que cela ne pose de problème. Le nucléaire est une énergie sûre qui émet très peu de dioxyde de carbone (CO2) et peut être déployée à grande échelle en une décennie.»
Quant aux ressources en uranium, «nous en avons suffisamment pour tenir jusqu’en 2060 au moins». D’ici là, «nos ingénieurs ont le temps de développer une quatrième génération fonctionnant au thorium, bien plus abondant et posant moins de problèmes de déchets. Ce n’est pas idéal, mais nous avons besoin de gagner du temps», poursuit l’Australien. Cette vision technophile est assez proche de celle que peut défendre Bill Gates, le fondateur de Microsoft, très engagé dans la lutte contre le réchauffement via sa fondation.
À l’opposé de l’échiquier, les associations écologistes (Greenpeace, les Amis de la Terre, Réseau Action Climat, etc.) n’ont de cesse de dénoncer l’énergie nucléaire, une «fausse solution» qui ne fera que rajouter le danger de la radioactivité au problème du réchauffement et freinera immanquablement le déploiement des «vraies solutions», à savoir les énergies renouvelables et les économies d’énergie. Elles dénoncent d’ailleurs l’utilisation, trop vague à leurs yeux, du terme «technologie propre» dans les négociations, qui met par omission dans le même sac nucléaire et renouvelables. Un positionnement jugé «totalement irresponsable» par Hansen et consorts.
«Si le nucléaire a encore un peu d’avenir en Inde, en Chine et dans d’autres pays en voie de développement, c’est plus parce qu’ils veulent montrer qu’ils sont capables d’accéder à ces hautes technologies...»
Jean-Marie Chevalier
À l’heure actuelle, le nucléaire ne représente que 11 % de la production mondiale d’électricité. Si l’on veut rester sur une trajectoire d’émissions compatible avec l’objectif de 2 °C, il faudrait que 17 % de l’électricité soit produite par le nucléaire en 2050, date à laquelle la demande aura doublé, estime l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Cela signifie qu’il faudrait tripler la capacité installée aujourd’hui. Sur le plan purement économique, c’est-à-dire en mettant de côté la sécurité, les déchets et l’acceptation sociétale, cette projection semble aujourd’hui irréaliste.
«Les banques ne sont pas très enclines à investir dans le secteur», analyse Jean-Marie Chevalier, professeur émérite de sciences économiques à l’université Paris-Dauphine, spécialiste de l’énergie. «On est en train de découvrir le coût de l’après-nucléaire, celui du démantèlement, qui fait grimper le prix du kilowattheure quand celui des énergies renouvelables ne fait que baisser. Si le nucléaire a encore un peu d’avenir en Inde, en Chine et dans d’autres pays en voie de développement, c’est plus parce qu’ils veulent montrer qu’ils sont capables d’accéder à ces hautes technologies que par intérêt économique.»
«Si vous voulez investir un euro pour réduire rapidement le niveau des émissions, le nucléaire est une mauvaise option, car trop cher et avant tout trop lent», assure Mycle Schneider, expert favorable à la dénucléarisation. Une conclusion que contestent évidemment les pronucléaire.