23 December 2017

Le Figaro (France)

La Russie construit des centrales jusqu’au Soudan

Après la Turquie et l’Égypte, Moscou prévoit la construction d’une centrale dans le pays africain.
Source : La Russie construit des centrales jusqu’au Soudan https://www.pressreader.com/france/le-figaro/20171223/281977492987189

Le Figaro 23 Dec 2017

Fabrice Nodé-Langlois @Fnodelanglois

ÉNERGIE L’annonce semble incongrue : le géant public russe Rosatom a signé un accord pour construire une centrale nucléaire au Soudan. Ce pays dont deux habitants sur trois n’ont pas accès à l’électricité se classe au 131e rang en termes de richesse par habitant selon la Banque mondiale et se situe dans une région politiquement instable. Rosatom prévoit d’y mener une étude de faisabilité sur les sites possibles, la technologie et le financement.

L’accord rendu public vendredi fait suite à une rencontre à Sotchi, sur les bords de la mer Noire, le 23 novembre dernier, entre Vladimir Poutine et le président soudanais, Omar el-Béchir. Ce dernier est poursuivi depuis huit ans par la Cour pénale internationale pour génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre dans la province du Darfour. La Russie de Poutine déploie « une diplomatie nucléaire particulièrement dynamique », souligne un spécialiste de l’atome. Pas plus tard que le 11 décembre, le président russe était au Caire pour assister, aux côtés de son homologue égyptien Abdel Fattah al-Sissi, à la signature du contrat final portant sur la construction de la première centrale atomique du pays. Le site de Dabaa, sur les bords de la Méditerranée, doit accueillir quatre réacteurs de 1 200 mégawatts (MW) dont le premier prévu pour démarrer dès 2026. Le montant du contrat, 30 milliards de dollars, est « un record dans l’histoire de l’industrie nucléaire », s’est félicité Alexeï Likhatchev, le directeur général de Rosatom.

Les projets russes en Turquie sont plus avancés. Le 10 décembre s’est déroulée une cérémonie de démarrage de chantier pour le premier réacteur (sur quatre) de la future centrale d’Akkuyu, dans la région touristique d’Antalya.

Le constructeur russe revendique, sur son site Internet, pas moins de 34 chantiers ou projets à l’étranger. La liste comporte toutefois un réacteur en Slovaquie libellé « en construction » depuis plus de trente ans, nuance le consultant Mycle Schneider dans son bilan annuel « World Nuclear Industry Status Report 2017 ».

Paquet « tout inclus »

Cet expert indépendant cite aussi l’exemple du Bangladesh, qui, en 2011, était prêt à signer un accord pour la livraison de deux réacteurs russes dès 2017-2018 pour une somme, raisonnable dans ce domaine, comprise entre 1,5 et 2 milliards de dollars. Depuis, écrit Mycle Schneider, « le démarrage du chantier n’a cessé d’être reporté et les coûts estimés ont augmenté ».

Les États qui rêvent d’entrer dans le club des puissances nucléaires ont tendance à sous-estimer le parcours du combattant pour y être admis. Partir de zéro dans un pays dépourvu d’ingénieurs nucléaires est un redoutable défi. Mais pour ces aspirants, la démarche russe est séduisante. « Rosatom vend un paquet tout inclus », souligne un autre expert. L’offre peut comprendre, en plus de la conception et de la construction, le pilotage et la maintenance de la centrale pendant dix ans - c’est le cas dans le contrat égyptien. Et même la supervision de la sûreté par l’autorité russe, Rostechnadzor. « Ce serait impensable en France en raison de l’indépendance de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) », poursuit l’expert.

Surtout, le géant russe, adossé à la puissance du Kremlin, propose des solutions de financement à ses clients.

Compte tenu de la complexité de la technologie, des montants financiers en jeu et des durées engagées (70 à 80 ans dans le contrat égyptien, de la construction au démantèlement), un État fournisseur de centrales peut exercer une influence considérable sur un pays qui veut accéder au Graal atomique. L’Union soviétique l’avait compris en bâtissant des réacteurs dans ses satellites. Vladimir Poutine poursuit cette politique, avec plus de succès actuellement que cette autre puissance nucléaire qu’est la France.

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