Par Sharon Wajsbrot Publié le 10 Mars 2021
SPECIAL FUKUSHIMA Alors que depuis la catastrophe de Fukushima de nombreux pays ont tourné le dos à l’énergie nucléaire, la Chine a persévéré. D’ici à 2030, elle doit devenir le premier producteur d’électricité nucléaire au monde.
Ce n’est pas forcément ce qui saute aux yeux en regardant les chiffres impressionnants de la croissance chinoise dans l’énergie nucléaire mais, en Chine comme ailleurs, la catastrophe de Fukushima a mis un coup d’arrêt au secteur. « Pendant les quatre années qui ont suivi l’accident de Fukushima, la Chine a gelé toute nouvelle autorisation de construction de centrale », pointe Mycle Schneider, analyste indépendant sur l’énergie nucléaire.
Il estime que « le véritable impact de Fukushima a eu lieu en Asie : la Chine a repris les autorisations de réacteurs à partir de 2015 mais à un niveau bien plus faible qu’anticipé auparavant ». Mais paradoxalement, même ce rythme plus modeste a été suffisant pour rester la principale locomotive du nucléaire dans le monde.
Selon les données de l’Agence internationale de l’énergie, la Chine a multiplié par cinq ses capacités de production d’électricité nucléaire entre 2010 et 2020, de sorte que sa puissance installée atteint 51 gigawatts fin 2020, un niveau qui se rapproche des 60,6 GW de puissance revendiquée par les 56 réacteurs français. A ce rythme, la France devrait être détrônée d’ici à deux ou trois ans mais surtout, d’ici à 2030, la Chine devrait s’imposer comme le premier producteur d’électricité nucléaire dans le monde, devant les Etats-Unis.
Pourquoi une telle croissance ? La raison tient d’abord aux besoins de la Chine. « Un chinois consomme la moitié de la consommation électrique d’un américain et les institutions gouvernementales projettent une croissance de cette consommation domestique de 70% d’ici à 2050 », pointe François Morin, directeur Chine de la World Nuclear Association, la fédération du secteur. Et pour aller aussi vite, la Chine a misé sur différentes technologies internationales, avec un focus, depuis l’accident de Fukushima, sur les réacteurs dits de troisième génération considérés comme plus sûrs : les AP1000 de technologie américaine Westinghouse ou encore, par exemple, les EPR de technologie française d’EDF.
Mais la Chine est aussi entrée depuis peu dans le petit club des pays qui détiennent leur propre design de centrale nucléaire, avec un premier réacteur 100 % made in China, le « Hualong One », connecté au réseau en septembre 2020.
« La crise provoquée par l’accident de Fukushima a mis certains industriels du nucléaire en difficulté et créé des opportunités pour une technologie 100 % chinoise », pointe Peter Fraser, responsable des marchés électriques au sein l’AIE. « Cela faisait plusieurs années que la Chine envisageait de développer sa propre technologie, avec à l’esprit les perspectives sur le marché local mais aussi des ambitions internationales. On disait dès 2015 en Chine que la commercialisation d’un seul réacteur à l’international pouvait rapporter autant que la vente d’un million de voitures ! » confirme, de son côté, François Morin, qui estime que l’accident japonais a sans doute indirectement accéléré les choses.
Pour la Chine, vendre son nucléaire à l’étranger est toutefois un exercice très complexe. Pour l’instant, seul le Pakistan s’est engagé dans la construction de réacteurs made in China et la Chine reste très loin derrière la Russie, le véritable champion de l’export de centrales nucléaires. « Les obstacles sont d’abord politiques, du fait de l’insuffisance du poids diplomatique de la Chine, mais il y a aussi des difficultés techniques. La Chine n’est pas encore capable de fournir, de livrer du combustible et d’assurer la gestion du combustible usé selon les standards internationaux », souligne François Morin.