1 November 2018

L’Express (France)

L’industrie nucléaire en pleine déroute

Crise existentielle

Source : L’industrie nucléaire en pleine déroute 11 September 2018 https://lexpansion.lexpress.fr/actualite-economique/l-industrie-nucleaire-en-pleine-deroute_2034754.html

L’Express

Par Béatrice Mathieu, publié le 11/09/2018 à 17:44

Vieillissement du parc mondial, chute des commandes, casse-tête du démantèlement, l’industrie nucléaire s’inquiéte.

Tandis que François de Rugy, le nouveau ministre de la transition écologique et solidaire a confirmé en début de semaine au Monde vouloir « sortir de la guerre de religion sur le nucléaire » , et alors que la PPE (Programmation pluriannuelles de l’Energie) prévue pour fin octobre doit acter - ou non - la fermeture de certaines centrales, l’industrie française de l’atome s’inquiète en silence... tout en continuant de nier l’évidence. Les chiffres sont têtus : au plan mondial, les perspectives d’activité sont bien moins florissantes que prévues. Le dernier World Nuclear Industrie Status Report publié ce mardi, sorte de bible de l’industrie nucléaire mondiale qui recense pays par pays tous les projets en cours et annoncés, décrit un secteur en plein freinage : chute du nombre de nouveaux réacteurs mis en chantier, accroissement inquiétant des délais de construction de ceux déjà lancés, perte de compétence, vieillissement généralisé du parc nucléaire mondial, casse-tête du démantèlement... Un de ses co-auteurs Mycle Schneider, qui ne compte certes pas parmi les plus fervents supporters de l’atome, décrit une industrie en déroute. Et tire à boulets rouges sur EDF, le géant français en pleine crise existentielle.

Alors que les manifestations du réchauffement climatique se sont multipliées ces derniers mois partout sur la planète, l’industrie nucléaire mondiale peine de plus en plus à rivaliser avec les énergies renouvelables dans le lancement de nouveaux projets. La crise du secteur est-elle profonde et durable ?

Cette industrie est dans une situation catastrophique. Partons des chiffres ! Le nucléaire n’a apporté dans le monde que 7 Gigawatts (GW) de capacités électriques supplémentaires entre janvier 2017 et juin 2018. C’est extrêmement faible au regard des 257 GW de nouvelles installations décomptées dont 157 GW pour les seules énergies renouvelables. Au premier juillet, la planète comptait 50 réacteurs en construction (dont 16 en Chine) : c’est 18 de moins qu’en 2013. La Chine, que beaucoup voient comme un eldorado du nucléaire, n’a débuté aucun nouveau chantier de construction depuis décembre 2016... Parallèlement, les annulations de programmes se sont multipliées : Jordanie, Malaisie, Etats-Unis. Le revirement de l’Afrique du Sud est à ce titre symbolique. Porté à bout de bras pendant des années par l’ancien président Jacob Zuma, le programme nucléaire prévoyait la construction de 6 à 8 réacteurs d’une capacité installée de 9 600 mégawatts, et pour un coût faramineux de 1 000 milliards de rands (60,2 milliards d’euros). Fin août, le ministre de l’énergie du pays a annoncé qu’il ne construirait aucun réacteur d’ici 2030, misant tout sur les renouvelables pour résoudre la crise énergétique du pays...

Vous soulignez la multiplication des annulations de programmes, mais les délais de construction ont aussi explosé. Pourquoi tous ces retards ?

Sur tous les réacteurs aujourd’hui en construction dans le monde, les deux tiers enregistrent des retards. Et ces reports se multiplient. Exemple aux Emirats Arabes Unis ou le projet a d’ores et déjà été décalé de trois ans. C’est donc un processus dynamique qui masque un phénomène très inquiétant : une rupture dans les compétences. En Chine, l’enjeu est de faire monter en compétence les salariés du nucléaire pour suivre le tempo des constructions. En France et notamment chez EDF, la question est toute autre : avons-nous encore les ingénieurs et les ouvriers qualifiés pour construire des réacteurs de nouvelles générations ?

Justement, EDF est-elle capable de construire 6 nouveaux EPR à partir de 2025, comme le préconise un récent rapport rédigé par un ancien administrateur général du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) et un ex-délégué général à l’armement remis cet été à Nicolas Hulot ?

L’industrie française a aujourd’hui un énorme problème de crédibilité lié à une culture de l’optimisme et du déni de réalité extravagant. Là encore, reprenons les chiffres. En 2017, les centrales nucléaires françaises ont produit 71,6% de l’électricité du pays, le niveau le plus faible depuis trente ans. Le parc a été globalement utilisé à hauteur de 67,7%. C’est un des plus bas niveaux au monde, c’est-à-dire sur les 31 pays étudiés. Il y a clairement aujourd’hui un problème de maintien des compétences techniques chez EDF. L’entreprise est-elle capable de se lancer dans la construction de six réacteurs ? Rien n’est moins sûr. D’autant qu’il n’est pas certains que nous en ayons besoin.

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