Par Émilie Massemin • 6 Décembre 2023
Le nucléaire, énergie d’avenir ? Vraiment pas, selon les auteurs du rapport sur l’état de l’industrie nucléaire mondiale 2023 (WNISR2023), dévoilé mercredi 6 décembre à Bruxelles. Comme tous les ans, l’équipe menée par l’analyste indépendant Mycle Schneider aligne les faits en réponse aux promesses mirifiques de l’industrie nucléaire et de ses promoteurs.
La réalité décrite dans le cru 2023, une somme de près de 500 pages, n’est guère engageante. L’atome ne pesait plus que 9,2 % dans le mix électrique mondial en 2022, son niveau le plus bas depuis quarante ans. Quant à la production mondiale d’électricité d’origine nucléaire, elle a décru de 4 % en un an, pour atteindre son plus bas niveau depuis le milieu des années 1990. En 2022, les 407 réacteurs en activité dans le monde ont produit 2 546 térawattheures (TWh), soit 4 % de moins qu’en 2021. Une baisse « absolument spectaculaire » qui s’inscrit dans une tendance de long terme, observe Mycle Schneider, coordinateur et éditeur du rapport.
« La France a subi cette chute de façon chaotique »
La France, qui multiplie les annonces sur la relance du nucléaire et les enveloppes à destination de la filière, ne fait pas exception. « Entre 2010 et 2022, la France a perdu 129 TWh de nucléaire, rappelle Mycle Schneider. C’est plus que ce que l’Allemagne a perdu en sortant du nucléaire de manière planifiée au jour près, organisée et coordonnée. La France a subi cette chute de façon brutale, imprévue, chaotique. »
Une perte de production liée à la découverte d’un problème de corrosion sous contrainte et à des retards de maintenance accumulés pendant la pandémie, mais qui s’inscrit dans une tendance de plus long terme. « Entre 2005 et 2015, neuf années sur dix, on produisait plus de 400 TWh d’électricité nucléaire. Depuis 2015, on n’y arrive plus. Luc Rémont, le nouveau PDG d’EDF, a annoncé que l’objectif du groupe était d’atteindre à nouveau 400 TWh en 2030, mais que ce sera très dur. »
Selon le rapport, les perspectives d’avenir de l’atome ne sont guère meilleures. Certes, en marge de la COP28 de Dubaï, une vingtaine de pays, parmi lesquels la France, ont appelé à un triplement de la production nucléaire dans le monde d’ici 2050. Cet objectif n’est « pas réalisable », affirme Mycle Schneider. Il nécessiterait en effet une accélération prodigieuse du rythme de construction des réacteurs. « Nous avons calculé que pour maintenir le parc nucléaire mondial à son niveau actuel, en se fondant sur l’hypothèse que tous les réacteurs existants aillent au terme de leurs prolongements d’autorisation d’exploitation, il faudrait construire 270 réacteurs d’ici 2050. Soit dix par an. » À titre de comparaison, 103 réacteurs ont été connectés au réseau entre 2003 et 2023. « Il faudrait donc doubler la cadence de construction et de mise en service pour seulement maintenir le statu quo. Mais rien n’indique qu’on en prend le chemin », observe l’analyste.
Au 1er juillet 2023, cinquante-huit réacteurs étaient en construction dans le monde. « De nombreux réacteurs sont encore loin d’être achevés », lit-on dans le rapport. Sur les 16 réacteurs dont le démarrage était prévu en 2022 recensés dans le WNISR2021, seuls 7 ont effectivement commencé à produire de l’électricité. Près d’une dizaine de réacteurs sont en construction depuis plus de dix ans : Mochovce 4 en Slovaquie (en construction depuis 38 ans), Bushehr 2 en Iran (47 ans), mais aussi Angra 3 au Brésil, le prototype Fast Breeder Reactor (PFBR), Kakrapar 4 et Rajasthan 7 et 8 en Inde, Shimane 3 au Japon, et Flamanville 3 en France.
Du côté des petits réacteurs modulaires (SMR), le rapport ne dénombre que quatre installations en fonctionnement et ne fait état d’aucune « avancée majeure, malgré l’attention croissante des médias et les engagements de financement public supplémentaires ». En Chine, deux réacteurs de ce type ont été mis en service en juin 2022, à l’issue d’un chantier qui devait prendre cinq ans et en a duré dix.
La Russie exploite, elle aussi, deux SMR embarqués sur une barge et raccordés au réseau en décembre 2019, neuf ans plus tard que prévu. Ailleurs, on en est au stade du concept, insiste Mycle Schneider. « En Occident, il n’y a pas un seul design qui ait été certifié. On est très très loin d’une première mise en service », insiste-t-il. NuScale, le concepteur du SMR le plus avancé aux États-Unis, a mis fin début novembre 2023 à un projet de six modules devant être installé dans une communauté de communes de l’Utah. En cause, une explosion des coûts estimés, qui a conduit les municipalités à jeter l’éponge en dépit de subventions fédérales massives.
Pour Mycle Schneider, la conclusion de ce bilan désastreux est limpide : le nucléaire ne sauvera pas le climat. Surtout dans un contexte où les énergies renouvelables et les solutions de pilotage et de stockage qui y sont associées sont de plus en plus efficaces et de moins en moins coûteuses. « En Chine, le photovoltaïque a pour la première fois produit plus d’électricité que le nucléaire, alors même que c’est le seul pays qui a vraiment investi dans l’atome ces vingt dernières années », indique l’analyste.
De fait, la production d’énergie nucléaire chinoise a augmenté de 3,2 % entre 2021 et 2022, contre 16 % de hausse pour l’éolien et 31 % pour le solaire, indique le rapport. Les énergies renouvelables hors hydroélectricité représentaient 15 % du mix électrique fin 2022, contre 5 % pour l’atome. « Depuis 2010, l’Allemagne, qui a fermé ses derniers réacteurs en avril 2023, a su compenser la perte de 106 TWh de production nucléaire par environ 150 TWh de renouvelables et près de 70 TWh de baisse de consommation, tout en baissant de 45 % la production issue du charbon, de 20 % celle du lignite et de 10 % celle du gaz. »
Un choix crucial d’allocation des ressources est donc à faire, plaide-t-il. « La seule question à se poser, c’est : si je dépense un euro dans une stratégie énergétique aujourd’hui, de combien puis-je réduire les émissions de gaz à effet de serre et dans combien de temps ? L’option la plus efficace pour le climat, c’est un mix de sobriété, d’efficacité, de réponse à la demande et de stockage, puis les énergies renouvelables. C’est non seulement moins cher, mais surtout beaucoup plus rapide. Tout investissement dans le nouveau nucléaire est une catastrophe pour une protection efficace du climat, car le capital humain et financier limité est détourné des options disponibles produisant des résultats à court terme. »
Pour l’heure, les États nucléarisés ne semblent pas convaincus par cette démonstration. « Il existe un énorme fossé entre la perception du public et des décideurs et la réalité industrielle », regrette l’analyste.
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