Par Marie de Vergès • 15 janvier 2025
Il ne se passe plus guère de semaines sans qu’un Etat africain clame son ambition de miser sur l’énergie nucléaire. Dernière en date, la Namibie indiquait, début janvier, chercher à obtenir de la Chine des investissements dans le secteur. « Nous voulons ajouter de la valeur à notre uranium », précisait le président Nangolo Mbumba, alors que son pays est l’un des principaux producteurs mondiaux de ce métal radioactif, utilisé comme combustible dans les réacteurs des centrales nucléaires.
Fin décembre, le Zimbabwe annonçait de son côté vouloir collaborer avec la Russie et l’Agence internationale de l’énergie atomique pour intégrer le nucléaire dans son bouquet énergétique. Quelques semaines plus tôt, c’est le Kenya qui assurait être en bonne voie pour commencer les travaux de sa première centrale en 2027, en vue de produire de l’électricité d’ici à 2034…
L’Afrique du Sud est aujourd’hui le seul pays du continent à disposer d’une centrale nucléaire en activité. Mais, depuis plusieurs années, des projets sont annoncés en cascade, de l’Ouganda au Ghana, en passant par le Mali, le Burkina Faso ou le Rwanda. Sur la trentaine de pays recensés par l’Association nucléaire mondiale en avril 2024 comme envisageant, planifiant ou lançant de nouveaux programmes d’énergie nucléaire, la moitié se situe en Afrique.
Cet engouement se traduit le plus souvent par des accords passés avec le russe Rosatom, premier exportateur mondial de centrales, et dans une moindre mesure avec la China National Nuclear Corporation. La plupart des plans sont pour l’heure largement rhétoriques, hormis en Egypte où Rosatom construit quatre réacteurs à El Dabaa (nord) – le tout pour un coût de 29 milliards de dollars financés à 85 % par un prêt russe. Le site devrait être opérationnel en 2030.
Selon les Etats du continent, l’enjeu est d’améliorer l’accès à l’énergie pour les ménages et les entreprises, sans augmenter les émissions de CO2. Aujourd’hui, un Africain sur deux, soit 600 millions de personnes, reste privé d’électricité. « Il n’y aura pas de développement socio-économique sans une forte dose de nucléaire dans le mix énergétique africain, martèle le Burkinabé Lassina Zerbo, président de la Commission de l’énergie atomique du Rwanda et ancien secrétaire exécutif de l’Organisation du traité d’interdiction complète des essais nucléaires. On parle beaucoup du potentiel du solaire pour l’Afrique, mais cette énergie intermittente n’a jamais industrialisé un Etat. »
Pour autant, les freins à l’avènement du nucléaire sont nombreux. D’abord sur le plan technique. Sur le continent, les capacités de production électrique sont généralement trop instables et surtout trop petites pour les besoins d’une centrale conventionnelle. Seule une minorité de pays africains dispose de réseaux de transmission à même de recevoir et de distribuer l’électricité fournie par un réacteur d’environ 1 gigawatt. Quant à la main-d’œuvre qualifiée, elle fait cruellement défaut.
S’ajoute la question du financement, épineuse même pour les pays riches. L’Afrique n’attire actuellement que 3 % des investissements mondiaux dans l’énergie, or les projets nucléaires sont particulièrement onéreux. Le coût de la centrale construite en Egypte est ainsi bien supérieur aux produits intérieurs bruts du Burkina Faso et du Mali, deux pays à faibles revenus où les juntes au pouvoir ont signé avec Rosatom des accords de développement d’une infrastructure nucléaire.
Reste à savoir dans quelle mesure le conglomérat russe serait prêt à répliquer, au Sahel ou ailleurs en Afrique, le schéma de financement proposé à l’Egypte… Avec deux risques à la clé : pour la Russie, celui de ne pas réussir à se faire intégralement rembourser ; et pour les pays bénéficiaires de tomber dans une dépendance économique de longue durée.
Selon les promoteurs du nucléaire africain, le recours futur aux petits réacteurs modulaires (Small Modular Reactors, SMR) permettrait de lever bien des obstacles. Dotés d’une puissance n’excédant pas 300 mégawatts, ils s’intégreraient plus facilement aux réseaux électriques existants. Et devraient en théorie, grâce à une fabrication standardisée, coûter moins cher qu’une centrale traditionnelle.
« Le SMR, c’est vraiment ce qu’il faudra à l’Afrique », juge aussi Emmanuelle Galichet, enseignante-chercheuse en sciences nucléaires au Conservatoire national des arts et métiers, tout en rappelant que ces miniréacteurs en sont toujours au stade du prototype et loin de la commercialisation.
« C’est une industrie qui n’existe pas encore, renchérit Hartmut Winkler, professeur de physique à l’université de Johannesburg (Afrique du Sud) et coauteur du World Nuclear Industry Status Report. On peut parier que la grande majorité des projets de centrales en Afrique n’aboutira pas, ou en tout cas pas avant des décennies. Les accords signés avec la Russie et la Chine tiennent beaucoup de la géopolitique et devraient se limiter, le plus souvent, à des programmes de formation. »
Au Sahel, par exemple, les mémorandums d’entente sont perçus comme un moyen pour Moscou de soigner des régimes militaires en rupture avec la France. Les enjeux sont aussi commerciaux et stratégiques : les géants du nucléaire ne peuvent faire l’impasse sur un marché encore vierge et à la démographie galopante ; un continent, surtout, qui possède 20 % des réserves mondiales d’uranium.
« Il y a un intérêt à sécuriser les approvisionnements, notamment pour la Chine qui importe plus de 80 % de ses besoins », décrypte Teva Meyer, chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques. Selon ce spécialiste de la géopolitique du nucléaire civil, tous les projets ne se valent pas. « Il y a partout beaucoup de difficultés à surmonter, mais on pourrait voir quelques pays se nucléariser d’ici 25 à 30 ans », prédit-il.
Certains se préparent en tout cas activement comme le Ghana, qui a mis sur pied son autorité de sûreté nucléaire dès 2016. Ou encore le Rwanda qui multiplie les partenariats étrangers pour développer son programme de nucléaire civil : le pays prévoit de se doter d’un réacteur expérimental dès 2026 et investit dans la formation, en envoyant ses futurs spécialistes en Russie. Accra comme Kigali ont également signé avec des entreprises américaines en vue d’être équipées à l’avenir de miniréacteurs SMR. « Il faut se projeter, exhorte Lassina Zerbo. La technologie ne cesse d’évoluer et c’est maintenant que nos pays doivent s’organiser pour être prêts le moment venu. » (Plus...)