23 March 2023

AFP (France)

« Énergie nucléaire : un marché dominé par la Chine et la Russie »

« La Russie, mise au ban de l’Occident depuis son invasion de l’Ukraine, domine pourtant le marché à l’export des centrales nucléaires, tandis que la Chine enchaîne les inaugurations : les deux géants concentrent désormais l’essentiel de l’activité, souligne un bilan annuel de référence. »

« Depuis trois ans, 25 chantiers (première coulée du béton du réacteur) ont été lancés dans le monde : tous se trouvent soit en Chine, soit hors de Chine mais faits par l’industrie russe », résume Mycle Schneider, auteur principal du World Nuclear Industry Status Report (WNISR), actualisé avec les chiffres de 2022.

« Le rôle de la Russie est spectaculaire », qui désormais « domine largement le marché international », note le WNISR, Pékin se limitant à des projets nationaux et avec le Pakistan.

A fin 2022, sur 59 réacteurs en construction, 22 se trouvent en Chine. Et 25 sont de conception russe : 5 en Russie, mais 20 dans huit pays étrangers (Bangladesh, Bélarus, Chine, Égypte, Inde, Iran, Slovaquie, Turquie) ; ces chantiers ont démarré pour certains dans les années 2000, 2015 ou encore 2018, l’égyptien en 2022.

Une raison de ce succès est que Rosatom, géant russe de l’énergie atomique, a établi un « système de package » clés en mains, proposant des centrales financées, construites, exploitées, se rétribuant ensuite par exemple sur la vente de l’électricité, explique l’analyste.

Car « le marché du nucléaire n’est pas un marché ordinaire : c’est un marché de vendeur, le vendeur porte le risque » financier.

Argument supplémentaire, Rosatom est « le seul à offrir de reprendre les combustibles irradiés », ajoute Mycle Schneider.

Nouveaux pays nucléaires

Dans l’UE elle-même, plusieurs pays exploitent des réacteurs de conception russe : Bulgarie, République tchèque, Finlande, Hongrie, Slovaquie.

« Ce qui est nouveau c’est l’arrivée de pays qui jusqu’ici n’avaient pas de nucléaire : Bangladesh, Egypte... autant de marchés qui n’en sont pas vraiment », note cet expert, qui voit là un moyen de « créer des interdépendances à long terme » : « si on entre dans une relation avec la Russie sur des centrales nucléaires, on est collé avec la Russie pour les décennies à venir ! C’est une stratégie géopolitique. »

La Chine de son côté poursuit sa stratégie de développement, mêlant technologies russe, française, américaine, canadienne...

Elle a ainsi mis en service trois réacteurs en 2022, et encore un en janvier 2023. Au point de devenir l’an dernier la 2e puissance nucléaire civile du monde avec 57 unités, remplaçant la France (56) mais toujours derrière les Etats-Unis (92), constate le WNISR, rapport d’experts indépendants basé sur des données publiques.

Pour autant, le programme chinois a ralenti après l’accident de Fukushima.

Globalement, le monde est passé en 20 ans de 438 réacteurs en fonctionnement, son maximum, à 411 à fin 2022. La production nucléaire totale a retrouvé l’an dernier son plus haut niveau, mais la suite est incertaine, note Mycle Schneider.

Alors que l’âge moyen des sites augmente (42 ans aux Etats-Unis, 37 en France...), « une grande part » des chantiers en cours est en retard, et « très peu » de nouveaux sont lancés chaque année : 10 en 2022, dont la moitié en Chine, loin du rythme des années 70-80 (1976 avait vu le lancement de 44 constructions !).

« Hors de Chine il ne s’est rien passé depuis deux décennies », avec un niveau général de construction bas, « pas soutenable », estime l’expert, pour qui « on ne construit pas suffisamment pour garantir +l’espèce nucléaire+ ».

Il n’observe pas non plus de mouvement concret encore après les déclarations d’intention de nouvelles constructions, en Suède, ou encore aux Pays-Bas. « Et qui aura la capacité industrielle de les construire ? »

Première puissance nucléaire, les Etats-Unis comptent deux sites en construction, mais « rien d’autre à ce stade dans les tuyaux », notent ces experts.

Quant à la France, elle devra encore concrétiser ses propres ambitions d’éventuelle relance de programme nucléaire. Ce qui ne l’empêche pas de regarder à l’export, avec un nouveau réacteur EPR 1200, à proposer notamment à la République tchèque.