Bernard Padoan • 19 septembre 2024
On le sait, depuis la terrible crise énergétique traversée par l’Europe à la suite de l’invasion russe en Ukraine, l’électricité nucléaire a connu un net regain d’intérêt. L’atome est vu comme un vecteur de sécurité d’approvisionnement et d’indépendance énergétique. Plusieurs pays ont remis le nucléaire en tête de leur agenda énergétique. En Europe, une alliance de douze pays, parmi lesquels la France, les Pays-Bas, la Pologne ou encore la République tchèque, s’est fixé comme objectif une puissance installée de 150 GW à l’horizon 2050 dans l’UE – contre 100 actuellement. Et à l’échelle mondiale, c’est un triplement du parc nucléaire mondial qui est promis par certains. En France, le démarrage de l’EPR de Flamanville, après 17 ans de travaux, au lieu des cinq prévus, est vu comme le signe d’un renouveau possible pour la filière qui doit maintenant s’atteler à la construction de six autres réacteurs EPR2.
Mais le chemin à parcourir est encore (très) long. Selon le dernier Rapport sur l’état de l’industrie nucléaire mondiale (WNISR), rédigé chaque année par une quinzaine d’experts dans le secteur de l’énergie sous la direction du consultant indépendant allemand Mycle Schneider, la part du nucléaire dans la production mondiale d’électricité a atteint fin 2023 un étiage à 9,15 %, un niveau qui n’avait plus été vu depuis « quatre décennies », soit le milieu des années 80, et ce en dépit d’une légère progression en termes bruts (+2,2 % à 2.602 TWh). C’est loin du pic de 1996, lorsque l’atome pesait 17,5 % de l’électricité générée sur la planète. Les auteurs du WNISR rappellent que dans le même temps, les énergies renouvelables hors hydroélectricité – soit principalement le solaire et l’éolien – ont vu leur part dans le mix électrique mondial grimper à 15,9 %. On notera qu’en matière de consommation d’énergie primaire – pour la production électrique, mais aussi le transport, le chauffage, l’industrie… – à l’échelle de la planète, tant le nucléaire que les renouvelables, avec des parts de respectivement 4 et 7,5 %, restent encore très loin des sources fossiles (pétrole, charbon et gaz), qui pèsent plus de 75 % du mix.
Hyperactivité chinoise
A la mi 2024, selon le décompte du WNISR, 408 réacteurs nucléaires, totalisant une puissance de 367 GW, étaient en service dans le monde, soit 30 unités de moins que le pic atteint en 2002. Sur le podium des pays les plus nucléarisés, la Chine s’est intercalée depuis quatre ans entre les Etats-Unis et la France. En une vingtaine d’années, Pékin s’est imposé comme un acteur majeur de l’énergie nucléaire. A l’heure actuelle, sur 59 réacteurs en cours de construction, 27 le sont en Chine, souligne le rapport. Sur les deux dernières décennies, c’est l’hyperactivité de cette dernière qui a, en grande partie, permis de maintenir l’équilibre entre mises en services et fermetures de réacteurs. Entre 2004 et 2023, il y a eu 102 démarrages et 104 fermetures dans le monde : sachant que la Chine a mis en service 49 réacteurs et n’en a éteint aucun, cela veut dire que le solde net pour le reste de la planète est de – 51 unités.
Mais si les Chinois sont les premiers constructeurs de réacteurs nucléaires, ils ont pour particularité de jouer presque uniquement à domicile – ils n’ont vendu de réacteurs qu’au Pakistan. En fait, c’est Moscou qui domine toujours le marché comme fournisseur de technologie nucléaire, avec 26 réacteurs de conception russe en cours de construction dans le monde (en Egypte, en Turquie, en Iran, en Slovaquie, au Bangladesh et même en Chine) à la fin juin 2024. Les Russes ont également un « rôle clé dans la fourniture de services liés au combustible nucléaire », note le WNISR, en ce compris l’extraction d’uranium, l’enrichissement de ce dernier et la fabrication d’assemblages de combustible pour les réacteurs de conception soviétique – dont 19 sont encore en service en Europe et 15 en Ukraine. Les auteurs du rapport soulignent que le secteur nucléaire russe est resté exempt de sanctions de la part de l’Union européenne, « une indication claire de la dépendance à la Russie dans ce domaine ».