La Tribune – avec l’AFP Publié le 23 Avril 2021
Alors que la France compte actuellement 59 réacteurs répartis sur 19 sites nucléaires, imaginez l’Hexagone alimenté en électricité par un seul et unique site nucléaire. C’est exactement le projet d’EDF en Inde qui compte y bâtir une gigantesque centrale comprenant 6 EPR et capable d’alimenter à elle seule 70 millions de foyers. En clair : la plus grande centrale nucléaire au monde.
Aujourd’hui vendredi, ce projet, controversé et retardé depuis plusieurs années, a franchi une étape importante, vient d’annoncer l’énergéticien français.
EDF a remis au groupe nucléaire public indien « l’offre technico-commerciale engageante française en vue de la construction de six (réacteurs) EPR sur le site de Jaitapur », a annoncé dans un communiqué le groupe français.
Ce n’est pas encore un accord, mais c’est une étape cruciale. En s’engageant ainsi, le groupe public français, seul en lice, donne la base nécessaire pour conclure un accord d’ici à quelques mois.
Cela permettrait de lancer enfin la construction d’un chantier évoqué depuis plus d’une décennie et surveillé de près par les autorités françaises et indiennes.
Les premiers accords avaient été signés sous la présidence française de Nicolas Sarkozy, à l’époque avec le géant nucléaire Areva dont EDF a hérité d’une part des activités, mais la catastrophe japonaise de Fukushima en 2011 y avait mis un coup d’arrêt, comme à d’autres grands projets nucléaires.
Depuis, les deux pays ont relancé l’affaire en 2018 mais, alors que la construction devait vite commencer, un accord s’est à nouveau longtemps fait attendre, malgré le soutien du gouvernement indien de Narendra Modi. Un projet controversé (risques sismiques, pour la pêche...)
Le projet, qui vise à alimenter en électricité 70 millions de foyers, fait l’objet depuis des années d’oppositions locales dont, jusqu’à récemment, le parti au pouvoir dans l’Etat de Maharashtra où se trouve Jaitapur.
Les critiques se concentrent sur le risque de séismes dans l’État du Maharashtra, où se trouve Jaitapur, et les conséquences pour la pêche locale de l’évacuation des déchets nucléaires.
De son côté, EDF met l’accent sur les bienfaits sociaux, estimant que la construction du site donnera un emploi à des dizaines de milliers de personnes sur place.
« Le projet générerait également d’importantes retombées économiques pour la filière nucléaire française sur toute la durée du projet - environ 15 ans -, avec la création de plusieurs dizaines de milliers d’emplois au sein d’une centaine d’entreprises », a ajouté le groupe.
Pour le secteur de l’énergie nucléaire, qui fournit actuellement 10% de l’électricité mondiale, le franchissement d’une étape cruciale par EDF vers la signature d’un contrat de cette importance est une bonne nouvelle. Mais il s’inscrit dans un contexte mondial très chahuté. Entre les pays qui l’abandonnent comme l’Allemagne et ceux qui accélèrent comme la Chine, entre la hausse des coûts et les contraintes liées aux exigences de la transition énergétique, l’avenir de cette filière controversée est difficile à prédire.
Déclin du nombre de réacteurs dans le monde, mais puissance installée stable À la fin 2020, 412 réacteurs (contre 429 en 2010) étaient en service dans 33 pays, pour une puissance installée qui a cependant un peu progressé à 367,1 GW (gigawatts) contre 365,3 GW fin 2010, les nouveaux réacteurs tendant à être plus puissants et performants.
La Chine accélère, mais Fukushima a freiné l’élan Sur la décennie 2011-2020, la Chine a concentré 25 des 57 mises en construction de réacteurs recensées à travers le monde.
Mais Fukushima « a été un choc profond pour les décideurs en Chine, et cela a conduit, si ce n’est à un arrêt brutal, à un ralentissement considérable des ambitions en matière nucléaire en Chine », note Mycle Schneider.
Les pays prêt à s’équiper ou à passer la vitesse supérieure Quatre nouveaux pays se sont toutefois lancés dans l’atome sur cette période : Bangladesh, Belarus, Emirats Arabes Unis et Turquie. D’autres pays - notamment ceux qui dépendent encore du charbon très polluant - souhaitent aussi se lancer (Pologne), ou veulent développer un secteur nucléaire déjà existant (République tchèque).
Allemagne, Suisse et Belgique vers une sortie définitive de l’atome À l’inverse, l’Allemagne s’est donné jusqu’à 2022 pour sortir du nucléaire après l’accident de Fukushima. La Suisse en a décidé de même, tout en maintenant dans l’immédiat certains sites. La Belgique vise pour sa part une sortie à l’horizon 2025.
Un rapport coûts/bénéfices qui bascule vers la concurrence des ENR Outre les problèmes inhérents qu’il soulève (sûreté, déchets...), le nucléaire est de plus en plus concurrencé par les énergies renouvelables, devenues bon marché. Et le secteur a été contraint d’adopter de nouvelles mesures de sûreté après Fukushima, le rendant plus coûteux.
Les coûts de l’éolien et du solaire ont ainsi baissé de 70% et 90% respectivement sur la période 2009-2020, selon les calculs de la banque Lazard. Sur la même période, ceux du nucléaire ont augmenté de 33%, selon la même source.
Le nucléaire a toutefois toujours ses adeptes, qui soulignent qu’il s’agit d’une source d’énergie très peu émettrice de CO2 et pilotable, c’est-à-dire qui peut être mobilisée en fonction des besoins - à l’inverse du vent ou du soleil.
L’AIE défend régulièrement son rôle dans la lutte contre le réchauffement climatique, aux côtés des renouvelables. « Une série de technologies, comprenant l’électricité nucléaire, sera nécessaire pour des transitions vers des énergies propres à travers le monde », juge l’agence, qui conseille des pays développés sur leur politique énergétique.
D’ici 2050, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) prévoit que la capacité nucléaire mondiale pourrait augmenter de 82% dans son hypothèse haute... ou décliner de 7% dans son hypothèse basse.
Les petits réacteurs modulaires, pistes pour l’avenir ? Après une certaine course au gigantisme avec des réacteurs de plus en plus puissants, l’industrie nucléaire s’intéresse aujourd’hui beaucoup aux petits réacteurs modulaires ou SMR (« small modular reactors »).
Il s’agit de réacteurs dont la puissance ne dépasse par les 300 mégawatts (MW), contre plus de 1.000 pour les réacteurs actuels.
Ils sont conçus pour être fabriqués en série en usine puis transportés sur le lieu de leur exploitation. Ce concept, déjà appliqué en Russie, intéresse notamment les Etats-Unis (qui détiennent déjà le plus grand nombre de réacteurs au monde, tous types confondus), la France (qui tire 70% de son électricité de l’atome, record mondial), et le Royaume-Uni.
Plusieurs pays travaillent par ailleurs à des réacteurs de quatrième génération, dont l’un des objectifs est notamment de minimiser les déchets.
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