Par Perrine Mouterde et Adrien Pécout Publié le 18 Novembre 2021
Mars 2011 : catastrophe de Fukushima, au Japon. Deux mois plus tard, Angela Merkel tient compte de l’émoi mondial. Cette année-là, la chancelière allemande décide d’accélérer la sortie du nucléaire, déjà envisagée au début des années 2000 et finalement prévue outre-Rhin pour 2022.
A l’inverse, d’autres pays ont poursuivi leurs investissements dans le nucléaire, voire lancé leurs premières installations. « La décennie écoulée montre plutôt un renforcement de pays déjà nucléarisés, l’extension spatiale de l’industrie nucléaire a été assez limitée, explique Teva Meyer, maître de conférences en géopolitique et géographie à l’université de Haute-Alsace. Il faut aussi faire la part des choses entre ce qui relève de demandes formulées et de projets vraiment réalisés. »
Pour la seule année 2020, cinq réacteurs ont été mis en service, dont deux dans des nouveaux pays nucléaires, les Emirats arabes unis et la Biélorussie. A l’inverse, six unités ont fermé, dont les deux de Fessenheim (Haut-Rhin), en France, après quarante-trois ans de fonctionnement. « Les accidents produisent surtout des effets sur les controverses politiques, mais pas sur la volonté ou non des exploitants de se retirer du marché », considère Valerie Arnhold, enseignante-chercheuse à l’école de commerce EM Lyon, également associée à Sciences Po.
A travers le monde, 442 réacteurs sont recensés – dont 56 en France, deuxième pays le plus nucléarisé derrière les Etats-Unis. Du moins selon le recensement de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Le nucléaire civil se concentre surtout entre Europe, Amérique du Nord et Asie : 33 pays jusqu’à présent (aucune nation en Océanie, et une seule pour le continent africain, l’Afrique du Sud).
L’accident de Fukushima a également accentué un glissement rhétorique des acteurs de la filière nucléaire. Le précédent de Tchernobyl, en Ukraine dans l’ex-URSS (1986), avait déjà « remis en cause le discours public selon lequel il n’y aurait plus d’accidents, alors que maintenant, le discours a changé : selon les organisations nucléaires, le danger se transformerait plutôt en source d’’apprentissage’ potentiel… », estime Mme Arnhold, critique à propos de cette présentation des choses.
« Après les catastrophes, il y a, bien évidemment, une forme de sidération temporaire, mais pas forcément de rupture forte. Car il ne faut jamais oublier que les politiques nucléaires sont toujours liées à des situations politiques très nationales », ajoute M. Meyer.
La majorité des projets en cours de construction – l’AIEA en recense une cinquantaine – se trouvent en Asie. Principalement dans des pays déjà nucléarisés : par exemple, l’Inde, la Corée du Sud, la Russie, le Japon, le Pakistan et surtout la Chine, qui a d’ailleurs déjà dépassé la France en production d’électricité nucléaire, au terme de l’année 2020, prenant la deuxième place en la matière derrière les Etats-Unis.
Le gouvernement chinois a surenchéri. Il a prévu, selon l’agence Bloomberg, en novembre 2021, la construction future de 150 nouveaux réacteurs sur son sol pour sortir du charbon, mais aussi d’une trentaine destinée à l’exportation. Le pays profite des tergiversations d’acteurs historiques comme la France ou les Etats-Unis, qui ont tardé, avant même l’accident de Fukushima, à garnir leur carnet de commandes. Au Royaume-Uni, la firme chinoise CGN participe au projet d’EDF de réacteur de Sizewell C. Selon le Financial Times, le gouvernement britannique chercherait cependant à l’en éloigner.
Comme la Chine, la Corée du Sud s’est lancée à l’international. En 2009, un consortium sud-coréen autour de l’entreprise Kepco a remporté, au détriment d’EDF, le contrat de construction du premier réacteur aux Emirats arabes unis, inauguré en 2020. Le développement de la première centrale du territoire turque, en revanche, a été confié au russe Rosatom. Mise en service prévue pour 2023, l’année du 100e anniversaire de la République de Turquie.
Selon le World Nuclear Industry Status Report publié en septembre 2021 par un groupe international d’experts de l’énergie, la part du nucléaire dans la production électrique mondiale est cependant passée de 17 % il y a vingt-cinq ans à 10 % aujourd’hui. En Europe, le gestionnaire français du réseau de transport d’électricité, RTE, estime que la production nucléaire est encore amenée « à se réduire de façon sensible » d’ici à 2050. Une partie du parc actuel devra en effet fermer pour raisons de vétusté.
Ou avant, donc, sur décision politique. Outre l’Allemagne, l’Espagne entend ainsi renoncer à l’atome à partir de 2035, prévoyant un « mix » 100 % renouvelables (solaire, éolien et hydraulique). Le cas le plus frappant se situe plutôt dans un autre royaume. Comme sa loi le permet depuis déjà deux décennies, la Belgique prévoit d’abandonner l’atome à compter de 2025, alors que cette source représente encore près de 40 % de son électricité. A la place, elle envisage l’importation d’hydrogène vert produit en Namibie… ainsi que l’installation de centrales à gaz, quand bien même il s’agit d’un combustible plus polluant.
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