Les Echos
VERONIQUE LE BILLON 23/05/2018
Pays : Cuba Début des travaux : 1982
Où est passé le casque d’ouvrier signé par Fidel Castro ? En 1992, le président-révolutionnaire cubain pose devant l’objectif du periodico local, pour sceller le grand projet développé avec Moscou : la construction d’une centrale nucléaire au bord de la mer des Caraïbes, à l’entrée de la baie de Cienfuegos et sous l’oeil inquiet des Etats-Unis voisins. Les travaux ont démarré en 1982, avec la perspective de construire quatre réacteurs de 420 mégawatts (MW). Dix ans plus tard, le projet est en réalité déjà paralysé par l’implosion de l’Union soviétique, qui a asséché les financements. Aujourd’hui, la route de la centrale est si peu empruntée que les fermiers des alentours y font sécher leurs céréales. L’herbe a repris ses droits, les pylônes à haute tension ne supportent aucune ligne. À quelques kilomètres, les tresses blondes d’une adolescente rappellent que certains Russes sont restés à Ciudad Nuclear, une ville nouvelle elle aussi abandonnée en chemin, à demi-habitée.
Pays : Allemagne Début des travaux : 1982
En ex-RDA, à quelques kilomètres de Stendal, le projet était ambitieux : construire quatre réacteurs de 1 000 MW de conception soviétique, pour faire du site l’une des plus grandes centrales nucléaire d’Europe centrale et orientale. L’accident de Tchernobyl en 1986 fait naître des inquiétudes sur l’utilisation de la technologie russe. Avec la réunification allemande, le projet est abandonné au tournant des années 90. Une entreprise rachète le site pour y produire des maisons préfabriquées, mais finit par faire faillite. Une maison témoin esseulée rappelle aujourd’hui cette histoire. La « déconstruction » du site a commencé dans les années 90. Trois tours aéroréfrigérantes ont été détruites aux explosifs en 1994 et 1999.
Pays : Brésil Début des travaux : 1984
Le long d’une côte si belle qu’y est établi l’un des Club Med brésiliens, la centrale d’Angra fait tourner les deux seuls réacteurs nucléaires du pays. Dès 1984, des travaux ont démarré pour construire un troisième réacteur de forte puissance, mais le projet est vite gelé, sur fond de problèmes financiers et environnementaux. En 2013, Areva signe avec Eletronuclear le contrat que tout le monde avait oublié : 1,2 milliard d’euros pour assurer l’ingénierie et le pilotage de la centrale. Moins de deux ans plus tard, Areva se met en retrait, pour cause de « retard dans le financement ». En 2015, le scandale Petrobras éclabousse Eletronuclear. Fraude, corruption, favoritisme dans l’attribution de marchés de construction d’Angra 3 : le président d’Eletronuclear est condamné à 43 ans de prison. La mise en service d’Angra 3 est affichée pour 2022, sans que personne n’y croie vraiment. La cuve et les générateurs de vapeur patientent dans un hangar.
Pays : Espagne Début des travaux : 1974
Février 1981, Jose Maria Ryan, ingénieur à la centrale nucléaire de Lemoniz, en construction à une trentaine de kilomètres de Bilbao, est exécuté par la branche militaire de l’organisation séparatiste basque ETA. Trois ans plus tôt, un attentat à la bombe avait déjà causé la mort de deux ouvriers. Quand le parti socialiste espagnol annonce un moratoire sur le nucléaire en 1984, sept morts sont à compter - deux militants antinucléaire et cinq salariés du chantier. En 1972, le dictateur Franco avait donné son feu vert au projet de l’électricien Iberduero (devenu Iberdrola) de construire deux réacteurs de 880 MW sur la côte nord de l’Espagne, pour couvrir 70% des besoins en électricité du Pays basque. Fin 2017, le quotidien El Mundo évoquait le projet du gouvernement basque de faire de la centrale de Lemoniz une ferme piscicole. Madrid a déjà transféré la propriété du terrain aux institutions locales, dans le cadre du pacte budgétaire avec le Parti nationaliste basque.
Pays : Autriche Début des travaux : 1971
« C’est un combat contre la dose, incolore, inodore, invisible, elle est partout autour de toi. » En 2013, Grand Central, le film de Rebecca Zlotowski présenté à Cannes dans la sélection Un certain regard, raconte le quotidien de Gary (Tahar Rahim), intérimaire du nucléaire, et de Karole (Léa Seydoux). Si l’action est censée se dérouler à la centrale EDF de Cruas, les scènes d’intérieur ont été tournées à Zwentendorf, en Autriche. La construction du réacteur à eau bouillante de 700 MW était totalement achevée quand le pays, sur fond d’opposition citoyenne et de calculs politiques, organise fin 1978 un référendum sur le nucléaire civil. Le « nein » l’emporte à une courte majorité (50,5%), scellant le destin de l’unique centrale du pays. Depuis, l’opposition au nucléaire s’est renforcée : Vienne a porté plainte en 2015 contre l’autorisation donnée à Londres par la Commission européenne de subventionner le projet de construction de deux EPR par EDF à Hinkley Point.
Pays : Etats-Unis Début des travaux : 2013
Août 2017, Jeffrey B. Archie, senior vice-président de l’électricien américain SCE & G, écrit à la NRC, l’autorité de sûreté nucléaire : « L’objet de cette lettre est de notifier formellement à la NRC qu’au 31 juillet 2017, South Carolina Electric & Gas Company a stoppé les activités de construction des unités 2 et 3 de la centrale nucléaire de V. C. Summer. » Avec les deux exemplaires de Vogtle en Géorgie, les deux réacteurs AP 1000 de technologie Westinghouse de V. C. Summer, dont la mise en service était initialement prévue en 2017 et 2018, devaient symboliser la renaissance du nucléaire aux Etats-Unis, premier parc mondial avec une centaine d’unités. L’acte de décès matérialise le placement en faillite de l’ex-fleuron nucléaire, fragilisé par des acquisitions hasardeuses et incapable de construire ses nouveaux réacteurs « on time and budget ». Neuf milliards de dollars ont été dépensés.