LE BILAN DE LA DECENNIE L’accident de Fukushima a fait momentanément vaciller la filière nucléaire. Mais ses vraies difficultés sont avant tout économiques et industrielles.
Par Hortense GOULARD Publié le 25 déc. 2019 à 9h00 - Mis à jour le 26 déc. 2019 à 13h04
On n’a pas fini d’entendre parler de Fukushima. Près de neuf ans après l’accident, qui a eu lieu le 11 mars 2011, le gouvernement japonais tente de convaincre les personnes qui habitaient jadis dans la zone contaminée d’y revenir. La décontamination de la zone, qui a déjà coûté 24 milliards d’euros, se poursuit. Le pays, qui disposait de 54 réacteurs nucléaires, les a tous arrêtés dans l’année qui a suivi l’accident. Il en a désormais redémarré sept, le sort des autres reste incertain.
L’accident de Fukushima a précipité la sortie du nucléaire en Allemagne, prévu avant 2022. Il a conduit à un gel, pendant plusieurs années, des autorisations pour la construction de nouvelles centrales en Chine. Et d’autres pays, dont la France, ont annoncé qu’ils mettraient en place de nouvelles mesures de sûreté. Dans l’Hexagone, celles-ci n’ont pas encore été toutes installées.
Un choix « très compliqué »
Quasiment partout, le renforcement des normes de sûreté a nécessité des investissements dans des centrales existantes, qui ont pu contribuer à renchérir le prix de l’électricité nucléaire, explique Peter Fraser de l’Agence internationale de l’énergie. Mais la catastrophe de Fukushima n’a fait que renforcer des tendances existantes. Et les années 2010 furent bien celle de la mise à mal du nucléaire.
« Le principal facteur est économique, avance-t-il. Dans des économies avancées, l’équation est devenue très compliquée ». Les énergies renouvelables constituent désormais « une façon plus économique de produire de l’électricité ». De surcroît, dans les pays occidentaux, « cela a été très difficile de construire à temps et en respectant les budgets », que ce soit en France, en Finlande ou aux Etats-Unis.
Construction lente et difficile
Les retards continuent en effet à s’accumuler pour la technologie franco-allemande de l’EPR. Le 19 décembre, la mise en service du réacteur Olkiluoto 3 en Finlande a de nouveau été retardée : ce dernier ne commencera à produire qu’en 2021. C’est le sixième retard pour le réacteur, dont la mise en service était initialement prévue pour 2009. Lancé en 2004, ce chantier devait constituer la vitrine du savoir-faire franco-allemand en matière de chantiers nucléaires, le premier d’une longue série de constructions pour cette technologie conçue pour améliorer la sûreté et la performance économique des centrales. Mais sur les cinq réacteurs de ce type en construction dans le monde, seuls les deux réacteurs de Taishan en Chine ont commencé à produire de l’électricité - après quatre années de retard. En France, le réacteur de Flamanville affiche dix ans de retard et un coût multiplié par trois ou quatre, tandis que la facture d’ Hinkley Point C au Royaume-Uni est passée de 16 milliards de livres à 22 milliards environ.
Manque de compétitivité
Mais les difficultés de la filière ne se résument pas aux problèmes de l’EPR. Aux Etats-Unis par exemple, de nombreux réacteurs, peu efficaces, ont dû fermer, écrasés par les prix bas de l’électricité. Ces derniers s’expliquent par l’explosion de la production de gaz de schiste bon marché, ainsi que par l’essor des éoliennes, qui bénéficient d’un accès privilégié au réseau. La même raison a conduit à l’abandon du projet de construction de deux réacteurs en Caroline du Sud , finalement jugés trop chers. La situation est néanmoins différente en Europe, où des prix de l’électricité plus élevés et l’existence d’un marché du carbone rendent l’énergie nucléaire plus compétitive, note Peter Fraser.
10 % de la production d’électricité
Résultat de cette accumulation de problèmes ? Malgré la mise en service d’une soixante de nouvelles centrales pendant les dix dernières années, dont la majorité en Chine, la part du nucléaire dans la production mondiale d’électricité diminue. En 1996, celle-ci atteignait 17,6 %. Elle dépasse à peine les 10 % aujourd’hui.
« Qu’il s’agisse de la mise en construction ou de la mise en service de nouvelles centrales, la Chine domine tout », note l’expert Mycle Schneider, auteur d’un rapport annuel sur l’industrie nucléaire. Malgré le raccordement d’une trentaine de centrales pendant les dix dernières années, le nucléaire n’y assure cependant que 4 % de la production d’électricité, moins que l’éolien.
Hortense Goulard