18 July 2015

Médiapart (France): L’inexorable déclin du nucléaire mondial

L’inexorable déclin du nucléaire mondial

Médiapart, 16 juillet 2015 | Par Michel de Pracontal

Selon un nouveau rapport établi par les consultants Mycle Schneider et Antony Froggatt, qui synthétise de nombreuses données chiffrées mondiales, l’industrie nucléaire décline et résiste de plus en plus difficilement au déploiement des énergies renouvelables, mieux adaptées à l’économie actuelle.

Quatre ans après Fukushima, l’industrie nucléaire n’est toujours pas relancée. À l’échelle globale, elle stagne en dessous de son niveau d’activité d’il y a une décennie et ne retrouve pas sa dynamique des années 1990.

Elle manque de perspectives à long terme et apparaît de moins en moins compétitive face aux énergies renouvelables, qui ne cessent de gagner du terrain.

Telles sont les conclusions principales de l’édition 2015 du World Nuclear Industry Status Report, rapport annuel établi par les consultants Mycle Schneider et Antony Froggatt, qui vient de paraître.

Ce rapport synthétise les principales données chiffrées disponibles sur l’atome civil dans le monde. Il replace dans une perspective globale l’actualité marquée, en France, par le fiasco de l’EPR et la débâcle d’Areva, aujourd’hui techniquement en faillite et placée sous la dépendance d’EDF. L’événement le plus marquant de 2014 aura cependant été la « panne » historique du Japon qui n’a pas produit un seul kilowatt nucléaire pendant l’année entière. C’est la première fois que cela se produit depuis un demi-siècle.

Malgré la volonté de relance affichée par le gouvernement de Shinzo Abe, le redémarrage des réacteurs japonais a connu une accumulation de retards successifs. Une première unité pourrait repartir à la mi-août, à la centrale de Sendai, sur l’île de Kyushu, mais de nouveaux délais sont possibles. En termes d’activité effective, le Japon ne semble pas près de retrouver la place de troisième puissance nucléaire civile qu’il occupait avant Fukushima.

Et cela, dans un contexte où la production nucléaire est concentrée sur un très petit nombre de nations : en tout, il n’y a que 31 pays qui possèdent des centrales nucléaires en activité ; les cinq plus importants – États-Unis, France, Russie, Corée du Sud et Chine – produisent plus des deux tiers (69 %) de l’électricité nucléaire mondiale.

Actuellement, 391 réacteurs sont en activité dans le monde. Soit 47 de moins qu’en 2002, tandis que la puissance totale installée est de 337 gigawatts en 2014, en baisse de 8 % par rapport au pic historique de 2010. La production mondiale d’électricité nucléaire a légèrement augmenté en 2014 et a atteint 2 410 TWh (térawatts-heure) en 2014, soit une hausse de 2,2 % par rapport à 2013. Mais cette valeur est 9,4 % en dessous du maximum historique, atteint en 2006.

La part du nucléaire dans la production mondiale d’électricité stagne aussi : en 2014, pour la troisième année consécutive, elle a été inférieure à 11 % (10,8 %), bien en dessous du plus haut niveau historique atteint en 1996 avec 17,6 %. La France, deuxième pays nucléaire après les États-Unis, constitue une exception avec trois quarts d’électricité tirés de l’atome, de loin le record mondial.

La stagnation du nucléaire civil est associée à un renouvellement insuffisant du parc et à un vieillissement des centrales. À la mi-2005, l’âge moyen d’un réacteur nucléaire est de 28,8 ans et plus de la moitié des unités en activité tournent depuis plus de 30 ans. Ce vieillissement du parc va s’accentuer, dans la mesure où le nombre de nouvelles centrales mises en fonctionnement chaque année est faible (cinq en 2013 et autant en 2014). Si l’on décidait de fermer tous les réacteurs ayant atteint 40 ans de fonctionnement, il faudrait remplacer 188 unités dans le monde d’ici 2030, un objectif qui semble peu réaliste au vu du rythme actuel de construction.

En dehors de la Chine, il n’y a pas de nouveau programme de construction de réacteurs à grande échelle. En juillet 2015, 62 nouveaux réacteurs sont en construction – cinq de moins qu’en juillet 2014 – dont 24 en Chine. Au moins les trois quarts de ces réacteurs ont connu des retards et, en moyenne, les chantiers ont commencé depuis un peu plus de 7 ans et demi. Cinq réacteurs sont répertoriés comme en construction depuis plus de 30 ans.

En 2014, on a lancé la construction de trois réacteurs, l’un en Argentine, l’autre au Belarus et le troisième dans les Émirats arabes unis. À comparer aux 15 chantiers lancés en 2010 (dont 10 en Chine) et aux 10 chantiers démarrés en 2013. La Chine n’a pas entrepris de nouvelle construction en 2014, mais en a commencé deux en 2015, les seules centrales mises en chantier cette année. Le Belarus et les Émirats sont les seuls nouveaux venus dans le club des pays qui construisent des réacteurs.

À cela s’ajoute le fait que les projets de réacteurs dits de « troisième génération » n’ont pas abouti, à l’image de l’échec de l’EPR d’Areva. Le rapport de Schneider et Froggatt consacre un chapitre à cette troisième génération de réacteurs, qui devaient être à la fois plus sûrs, moins chers et plus faciles à construire. En mai 2015, 18 réacteurs satisfaisant aux critères de la troisième génération étaient en construction, dont 16 affichaient des retards de deux à neuf ans. Outre Areva, huit de ces réacteurs sont construits par la société américaine Westinghouse et six par la firme russe Rosatom. Les trois constructeurs ont été confrontés à des problèmes de conception, de perte de savoir-faire, de pénurie de travailleurs qualifiés, de standardisation ; ils n’ont pas réussi à planifier correctement leurs chantiers, à organiser la fourniture des équipements, et ont eu des difficultés financières.

L’échec de la troisième génération limite les possibilités de renouveau de l’industrie nucléaire, selon Schneider et Froggatt, qui pensent que le seul avenir de cette industrie réside dans de nouvelles technologies, telles que la quatrième génération ou les petits réacteurs modulaires. Mais ces deux concepts sont encore très loin d’une application commerciale et ne seront pas au point avant de longues années.

Dans l’intervalle, le nucléaire doit affronter une concurrence de plus en plus difficile avec les énergies renouvelables. Le secteur de l’énergie électrique connaît un profond remaniement, plus favorable aux systèmes décentralisés et aux renouvelables qu’aux installations lourdes. Bien qu’en moyenne, un kilowatt nucléaire installé produise deux fois plus d’électricité par an qu’un kilowatt renouvelable, le recul du nucléaire semble inéluctable. Dans le monde, entre la signature du protocole de Kyoto en 1997 et 2014, la production d’électricité éolienne a augmenté de 694 TWh, celle d’électricité solaire de 185 TWh et celle de nucléaire de 147 TWh. Dans l’Union européenne, la production nucléaire a baissé pendant la même période, alors que l’éolien et le solaire ont augmenté. Aux États-Unis, 13 % de l’électricité a été produite par les énergies renouvelables en 2014, contre 19,6 % par le nucléaire.

En 2014, le taux de croissance de la production d’électricité par le vent était globalement de 10 %, alors qu’il était de plus de 38 % pour le solaire photovoltaïque et de 2,2 % pour l’électricité nucléaire. D’ores et déjà, la Chine, l’Allemagne et le Japon, trois des plus puissantes économies mondiales, mais aussi le Brésil, l’Inde, le Mexique, les Pays-Bas et l’Espagne produisent plus d’électricité à partir d’énergies renouvelables (hors hydro-électricité) qu’à partir du nucléaire. Ces huit pays représentent plus de 3 milliards d’habitants et 45 % de la population mondiale. En Grande-Bretagne, si l’on adjoint l’hydro-électricité aux renouvelables, leur part dépasse celle du nucléaire. Dans ce paysage, les 77 % d’électricité nucléaire française font figure d’archaïsme.

Certes, les énergies renouvelables sont handicapées par leur production intermittente et leur puissance réduite. Mais ces faiblesses sont largement compensées par le fait que les unités renouvelables ont des délais de construction plus courts, sont faciles à fabriquer et à installer et peuvent être produites en masse. Au regard des données récentes, l’idée que la production nucléaire puisse augmenter plus vite ou au même rythme que celle des renouvelables n’apparaît plus d’actualité.

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